Le miroir des courtisanes – Sawako Ariyoshi

À mon retour du Japon, j’ai eu envie de rester dans cette atmosphère si particulière, dont les codes et les coutumes diffèrent tellement des miennes. Du coup, une plongée dans le Japon de l’ère Shôwa était tout indiquée.

De quoi ça parle

Née dans la péninsule de Kii, Tomoko est élevée par sa grand-mère suite au remariage de sa mère, femme magnifiquement belle mais aussi vaine que dénuée d’instinct maternel. Elle sera vendue comme apprentie geisha et devra toute sa vie composer avec cette relation mère-fille houleuse et souvent malsaine.

Mon avis

Quel plaisir que de retrouver l’atmosphère d’un Japon rêvé, maintenant disparu, à travers ces pages. C’est tout le milieu du 20e siècle qui nous est raconté à travers la relation de Tomoko et de sa mère, dans un monde où les femmes ne sont qu’épouses et qui, si elles ne correspondent pas à ce modèle de douceur, de féminité et de dévotion, nageront toujours à contre-courant. Il ne faut pas s’attendre à beaucoup de « closure », il ne faut pas non plus s’attendre à voir les bonnes actions récompensées car nous sommes face à des femmes qui prennent des décisions très pragmatiques, logiques selon leur situation. Est-ce que ce sont toujours des bonnes décisions? Qui sommes nous pour juger? La culture est différente, l’époque est différentes et le monde des geishas et du quartier des plaisirs nous est pratiquement inconnu. Tout est tellement codifié.

Bref, lire ce roman, c’est être ailleurs et laisser notre cadre de référence à l’entrée. On y retrouve la délicatesse japonaise, le soin apporté aux détails, notamment à ceux des kimonos qui prennent énormément de place dans l’histoire et qui sont souvent révélateurs de la relation entre la mère et la fille. La vie de Tomoko ne sera pas toujours facile mais elle est travaillante, intelligente et réussira à se relever, envers et contre tous. Blessée par la relation avec sa mère, elle souffrira énormément par sa faute et sa personnalité s’en trouvera influencée. Et nous, comme lecteur, on a le goût de la secouer pour être si naïve, pour tomber dans le panneau même si au font, elle sait ce qui l’attend… bref, rien de simple.

Et je crois que ce qui m’a le plus plu est de voir le passage des années, de voir les traditions changer petit à petit et de les voir à travers le regard de la protagoniste qui perd par moments ses repères. On saute parfois plusieurs années, on se demande où nous en sommes, mais ça a très bien passé pour moi. Je ne sais pas si j’aurais saisi tant de détails si je n’arrivais pas tout juste du Japon et si je n’avais pas entendu parler de la culture par des japonais… mais j’ai eu un excellent moment de lecture.

Le quatrième mur – Sorj Chalandon

J’aime beaucoup l’auteur, comme vous le savez probablement. Et ici, impossible de ne pas être intriguée. Un homme qui décide de monter l’Antigone d’Anouilh à Beyrouth, en 1982, et un plus un favori de Floris de Floflyy, il FALLAIT que je le lise, non?

De quoi ça parle

Pour une rare fois, je placerai la quatrième de couverture parce que c’est tellement, mais tellement ça…

« L’idée de Sam était belle et folle : monter l’Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth. Voler deux heures à la guerre, en prélevant dans chaque camp un fils ou une fille pour en faire des acteurs. Puis rassembler ces ennemis sur une scène de fortune, entre cour détruite et jardin saccagé. Samuel était grec. Juif, aussi. Mon frère en quelque sorte. Un jour, il m’a demandé de participer à cette trêve poétique. Il me l’a fait promettre, à moi, petit théâtreux de patronnage. Et je lui ai dit oui. Je suis allé à Beyrouth le 10 février 1982, main tendue à la paix. Avant que la guerre ne m’offre brutalement la sienne… »

Mon avis

Non mais quel texte bouleversant. C’est dur, réaliste, plein de moments poétiques et ça sonne des cloches par rapport à tout ce qui se passe actuellement. Je n’avais qu’une vague idée de ce qui s’était passée au Liban dans les années 80. J’avais de visions de ville détruites, de civils tués et de multiples clans mais je n’avais pas saisi à quel point le tout était complexe, à quel point les gens pouvaient se détester pour des raisons idéologiques au départ… et par la suite parce que bon, quand tel ou tel clan a tué ton fils, ton bébé, mettons que tu l’aimes juste moyen.

George, notre personnage principal, arrive donc au Liban sans trop savoir, avec une grande naïveté. Son objectif, monter la pièce, subtiliser deux heures à la guerre, avec des fils et de filles de clans différents, que nous allons d’ailleurs rencontrer, les uns après les autres. Ce ne sera pas si simple, bien sûr. Les idées et les croyances vont se confronter mais tous tentent de devenir un personnage au moment où ils entrent dans les répétitions. Ils n’ont peut-être pas tout compris (et d’ailleurs, l’Antigone d’Anouilh laisse tellement place à l’interprétation), personne ne s’entend à savoir qui est le bon, le méchant, le résistant glorieux ou la personne gardienne de la vertu… bref, c’est hyper intéressant. Et le tout va éclater. Parce que la guerre.

Certaines scènes sont déchirantes, on en sort à bout de souffle. Les horreurs de la guerre, ce n’est jamais beau, jamais subtil non plus. Et l’évolution du personnage principal est également tellement difficile mais tellement crédible. Comment revenir à la vie normale quand on a vu l’horreur? Comment trouver importantes et crédibles les pleurs d’un enfant parce qu’il a perdu sa boule de crème glacée? Les choses prennent une tout autre importance et son malaise, celui de sa famille, est très poignante.

Bref, un très bon roman, encore une fois. En sort-on avec de l’espoir? Je ne sais pas. Les dissensions sont tellement ancrées dans la vie et dans les esprits des gens, la haine tellement profonde… mais juste le fait de d’écrire pour tenter le coup est un peu un acte de foi, non?

À tenter!

Les dragons – Jérôme Colin

C’est Mallo qui m’a chaudement recommandé ce roman pour mon challenge « 12 suggestions pour 2024 ». J’en avais assez peu entendu parler, sauf sur la chaîne de Séverine… et après ma lecture, je l’ai vu partout!

De quoi ça parle

Jérôme a 15 ans. Il est en colère, terriblement en colère. Il en veut à ses parents, qui sont des vieux cons selon lui et qui ne peuvent rien faire qui trouve grâce à ses yeux. Un jugement de la cour l’envoie dans un centre de soins pour ado et il va rencontrer Colette, Colette qui veut mourir.

Et ce roman, c’est l’histoire d’un coup de foudre.

Mon avis

J’ai lu ce roman en apnée et je l’ai refermé bouleversée. Quel portrait tout en finesse mais sans concession de la détresse adolescente! Les dragons, ce sont ces jeunes pour qui la société ne sait plus quoi faire. Ces jeunes qui ne vont pas, qui semblent à plusieurs des bombes à retardement, qui ont parfois vécu l’enfer et parfois non. Et qui cherchent leur place dans ce monde qui ne semble pas fait pour eux, qui ne répond en rien à leurs attente et qui est tellement loin de leur monde rêvé. Parce que qu’est-ce qu’il a à offrir, le monde des adultes? Un boulot pour vivoter? Bref, ils sont perdus.

Jérôme, lui, ne sait même pas pourquoi il est si en colère. Il n’a qu’une idée en tête : se faire mettre à la porte du centre, sauf qu’il va croiser Colette. De retour de l’hôpital, elle a voulu mourir. Dans quelques jours, elle va avoir 18 ans et devra sortir de ce centre qui est presque devenu sa maison. Lui, il veut l’emmener ailleurs, dans une maison hors du monde et vieillir avec elle. Et quelques jours vont bouleverser le jeune Jérôme.

Ici, pas de magie. Beaucoup de douleur, beaucoup de compassion qui n’est pas toujours reconnue. On oublie en tant qu’adulte, ce qu’est d’être ado mais ce roman nous le rappelle avec force. Ces jeunes font parfois peur, ils sont parfois oubliés même s’ils auraient tant besoin de soutien. Je pense qu’il y a tous les trigger warning possibles et on va discuter de culpabilité, de deuil, de peine… bref, de désespoir adolescent.

Ça fait peur, certes, mais c’est terriblement poignant et émouvant.

Je ne sais pas si ce sont des mémoires mais peu importe. Une plongée incroyable dans la psyché adolescente. J’ai adoré.

Mangeterre / Cometierra – Dolores Reyes

Ok, j’avoue, j’ai mis le titre en espagnol pour flasher le fait que je l’ai lu en espagnol. Il y avait au moins 2-3 ans que je n’avais rien lu en espagnol et disons qu’avec l’argot des faubourgs de Buenos Aires, j’en ai bavé! Mais ce que j’ai pu aimer le livre!

De quoi ça parle

La narratrice, qui ne sera pas nommée, est appelée Mangeterre. Enfant, à la mort de sa mère, elle a eu la compulsion de manger la terre où elle était enterrée et dans une vision, elle a pu voir sa mort. Des années plus tard, elle habite avec son frère garagiste dans un quartier pauvre où ils jouent à la playstation en buvant des bières, entourés de gens qui la craignent un peu mais qui ont parfois besoin de son aide.

Car en Argentine, les femmes disparaissent. Et les familles ont besoin de savoir.

Mon avis

Entendons-nous tout de suite, nous sommes dans du réalisme magique. Si vous n’aimez pas, passez votre chemin. Moi j’adore hein alors ça a clairement passé! Nous sommes aussi dans style hyper particulier, parfois très poétique mais le tout raconté au « je » par une narratrice qui vient des quartiers pauvres, qui n’est pas vraiment allée à l’école (tout le monde s’en foutait et avait peur d’elle) et qui a un langage cru. Très cru. C’est donc un clash assez surprenant entre les images fortes, presque lyriques et la façon qu’a la narratrice de nous ramener sur terre par une phrase ma foi… très vulgaire. Elle est un peu sorcière, on la rencontre très jeune et on la voit grandir un peu alors que sa réputation va croissant après qu’elle ait aidé un policier taciturne à résoudre une disparition.

Il ne faut pas chercher un récit suivi. C’est plutôt l’histoire de quelques années dans la vie de ce personnage hanté par les voix de ces femmes qui sont disparues, qui ont été tuées et que personne n’a trouvées. On ressent le désespoir de ces jeunes qui errent dans un monde qui n’est pas fait pour eux alors que personne ne les écoute, eux qui crient que ça ne va pas, que la jeunesse pauvre se noie. C’est souvent violent, cruel, féministe et la voix de la jeune femme sera pour moi très difficile à oublier. Jamais elle ne se plaint, elle va toujours droit devant tout en étant capable de compassion pour les victimes et leurs familles. Le tout entre deux parties de jeux vidéo, un joint et quelques bières, en espérant avoir du bon temps au marché ou des bonnes frites au resto.

Je dois avouer que si j’avais lu en français, la vulgarité du langage aurait pu me déranger. Toutefois, en espagnol, ça a passé et il paraît que nous sommes vraiment dans l’argot du coin. Duolingo ne pouvait pas grand chose pour moi. Une chance que j’avais une traduction anglaise pour me sauver la vie!

Bref, excellente surprise.

Les aiguilles d’or – Michael McDowell

Gros aveu, j’ai lu ce roman pour la couverture. Je l’ai vu « en vrai » au salon du livre de Québec et j’ai craqué. Impossible de résister. Oui, je suis faible.

De quoi ça parle

New York, fin du 19e siècle. La famille Stallworth, dirigé d’une main de fer par le juge Stallworth, sans pitié, qui souhaite l’avancement et la gloire de sa famille. Pour ce faire, il souhaite libérer New York de la corruption et il va jeter son dévolu sur un quartier en particulier, le triangle noir, quartier pauvre et fréquenté par les prostituées et criminels de bas étage. De tous les étages en fait!

Dans ce quartier, nous rencontrons la famille Shanks, qui représente, disons, tout ce que le juge Stallworth exècre. Et qui a en plus des comptes à régler avec lui.

Mon avis

Je ne sais pas à quoi je m’attendais… mais clairement pas à passer le roman complet à rager contre un personnage. Non mais je HAIS le juge Stallworth, mais d’une puissance! Imaginez, je soutenais les criminels avec passion, alors que ce ne sont pas des « gentils » criminels!

Deux familles vont donc s’opposer. Chez les Stallworth, nous avons donc un juge, un pasteur, un avocat et son épouse très respectable, ainsi que les deux enfants du pasteur. Chez les Shanks, Lena, matriarche dont le mari a été envoyé à l’échafaud. Entre la mère receleuse, la belle soeur prostituée de luxe, la fille avorteuse, la fille faussaire et les jumeaux voleurs, cette famille a des revenus… diversifiés disons? Le roman parle certes de leur affrontement, mais aussi de la condition de pauvreté extrême dans laquelle vivait une partie de la population, ce qui les poussait vers les activités illicites. Ce discours est ma foi très actuel alors que le roman a été écrit en 1980. Et dans ce contexte, j’avais clairement envie de faire une fête à chaque fois que Lena la noire plaçait bien un pion. Genre « Way to go girl »!

L’auteur a encore une fois réussi à créer une atmosphère palpable. Un véritable voyage dans le temps dans un New York grouillant et bigarré. On retrouve une ambiance un peu Dickensienne, mais aux États-Unis et peut-être avec un peu moins d’humour (parce que oui, Dickens est hilarant, je ne le dirai jamais assez). Vous savez, cette sensation de voir de haut les personnages s’agiter en tous sens? C’est ce que j’ai ressenti ici et j’ai passé un excellent moment de lecture. Tout en étant enragée. Les discours du fameux juge… ARGHHHH! Puant de condescendance et de bien-pensance.

Comme il y a beaucoup de personnages, l’action met un moment à se mettre en place. Mais quand l’action commence… c’est passionnant. J’y étais. Ce qui se passe est horrible mais captivant. Bref, j’ai tout aimé. Et je continuerai clairement à lire l’auteur car je ressens rarement les choses à ce point… même quand il me met dans un état pas possible!

Seven days in June – Tia Williams

La romance et moi, nous avons une relation amour-haine. En fait, j’avoue que ça fonctionne rarement. Mais ici, j’avais vu ce roman dans des listes de « best books » depuis sa sortie que j’ai décidé d’essayer… et sérieusement, je pense… que j’ai aimé ça? Oui, je sais, vous êtes surpris. Moi la première. Mais je m’explique.

De quoi ça parle

Eva est autrice de romance érotique paranormale. Elle raconte en plusieurs tomes l’histoire Gia, sorcière, et Sebastian, vampire, amoureux maudits qui se cherchent à travers le monde. Elle fait partie d’une communauté d’auteurs noirs et souffre de migraines chroniques et très sévères.

Lors d’un événement littéraire, elle revoit Shane Hall, auteur de romans très littéraires connu comme étant très « messed up » et surtout antisocial. Sauf qu’ils se sont connus adolescents durant quelques jours très intenses et qu’ils ne se sont pas revus depuis 15 ans. Ce qui ne veut pas dire qu’ils se sont oubliés…

Mon avis

On m’a vendu ce livre comme une romance et si oui il y a une histoire d’amour, s’il y a de la chimie et du smut (un peu), c’est aussi une histoire très contemporaine, bien ancrée dans le Brooklyn d’aujourd’hui, dans cet univers qu’est le milieu littéraire noir. Et c’est cette culture omniprésente, ces références assez ciblées qui font que ce roman m’a plu. Certains chroniqueurs ont mentionné qu’il y a « trop » de ces références mais comme ce n’est pas mon monde et ma culture, j’ai dû en manquer les trois quarts… ce qui fait que j’ai beaucoup aimé les reconnaitre.

Tia Williams a une plume addictive et aussi très drôle. Eva est une femme intelligente, vive d’esprit, qui a un lourd passé dont elle semble s’être sortie. Mais est-elle vraiment guérie? Étonnament, l’humour n’enlève rien à l’intensité des thèmes abordés, souvent avec beaucoup de délicatesse. On parle ici de douleur chronique, de traumas générationnels et du besoin de les comprendre pour les dépasser, des enfances brisées et de l’amour maternel, celui qui fait mal et celui qui guérit. Nos deux protagonistes étaient brisés et ils se sont trouvés lors d’une période où ils étaient très vulnérables… et ils ne se sont jamais oubliés.

Et c’est hyper intéressant comme concept, surtout que quand on est ados, « the one who got away », il fascine. Cette semaine très intense, vécue dans un brouillard de drogue et d’alcool, était-ce de l’amour? Dans ma tête, clairement pas, mais ce n’est pas ce qui importe. Les amours adolescentes, nous les idéalisons souvent et peu importe ce qu’elles étaient, on se questionne parfois à savoir « et si je le revoyais »… Et tout le questionnement de Eva et de Shane sur leur capacité à être ensemble, à être bien ensemble est vraiment pertinent.

Bref, j’ai aimé le côté « recherche de soi », l’atmosphère, les réflexions sur le fait d’être une autrice noire, dans un monde de l’édition pas toujours fait pour elles. C’est un roman sur une autrice noire, par une autrice noire, et c’est un aspect très important. Je serais preneuse pour lire le prochain livre de la protagoniste! Comme d’habitude, les scènes cutes (qui SONT cutes) sont ce qui m’a le moins plu, mais ça, c’est moi! Il y a aussi le traitement d’un autre point… dont je ne peux par parler ici pour ne pas spoiler!

En général… avis positif donc!

Amuleto – Roberto Bolano

J’ai eu envie de lire ce roman après en avoir entendu parler dans Autoportrait d’une autre d’Élise Turcotte. J’avais été tellement frappée par 2666 de l’auteur qu’il fallait que je tente le coup avec ce court ouvrage.

De quoi ça parle

Auxilio Lacouture est la femme qui s’est cachée dans les toilettes du 4e étage de l’université quand la police y est entrée, ce qui a mené à un massacre un peu plus tard. Mère de jeunes poètes mexicains, elle erre dans leur univers.

Mon avis

Je sais, ce résumé ne vous dit rien. À moi non plus. Pourtant il m’est difficile d’en dire davantage car nous avons affaire à un étrange ouvrage avec une narration presque en spirale, qui nous balade entre les fameuses toilettes du quatrième étage de l’université et différents moments dans l’espace et le temps, avec la communauté artistique de l’époque. Nous y croisons entre autres Arturo Belano, alter ego de l’auteur ainsi que de nombreux « jeunes poètes » qui traînent dans les cafés tout en critiquant la génération précédente. La narratrice vit un peu autour d’eux, sans trop se fixer, vivant presque à travers eux. On se balade dans son esprit qui revient constamment à ce moment marquant de sa vie et qui nous balade d’un côté et de l’autre… et c’est fascinant.

Un roman où il se passe peu de choses mais qui questionne constamment. Vous pouvez imaginer que ça me plait. C’est une histoire remplie de poètes dans une époque violente. Ça parle de littérature et du pouvoir de la poésie en ces temps troublés, ça parle de résilience et de perte des illusions. Le voyage de Belano vers le Chili, celui qui part, celui qui revient, c’est magnifiquement réussi.

C’est rempli de symboles, on sort de ce court texte un peu groggy, ayant eu l’impression d’entendre la voix d’un fantôme. On est dans une ambiance un peu surréaliste et j’ai réalisé après ma lecture que nous le personnage d’Auxilio Lacouture était déjà apparue dans Les détectives sauvages du même auteur. Roman que je veux lire, of course. Malgré ses 900 quelques pages!

Bref, j’ai beaucoup aimé. Mais je ne le conseillerais pas à tout le monde!

L’été où tout a fondu – Tiffany McDaniel

J’étais un peu déçue de ne pas avoir aimé plus que ça la précédente suggestion de Corn8lius dans mon challenge « je lis les favoris de… » alors j’ai décidé d’en lire un autre. Illogique, direz-vous. Tsé, fille, t’as pas tant aimé le premier, pourquoi tenter d’en lire un autre? En fait, j’ai quand même des goûts communs avec Cornélius et quand même, c’est Tiffany McDaniel! Il fallait tenter le coup!

De quoi ça parle

Tiffany nous ramène à Breathed, la même petite ville que dans Betty mais cette fois dans les années 80, pendant un été où sévit une terrible vague de chaleur. Suite à une annonce dans le journal mise par son père arrivera chez le narrateur un jeune garçon noir de 13 ans, Sal, qui dit être le diable. Et ce sera l’été où tout basculera.

Mon avis

Ce roman confirme que Tiffany McDaniel est une autrice que je relirai. J’accroche à ses thèmes, à sa plume et à sa façon de créer des personnages, à sa façon d’utiliser les craintes du monde pour nous faire voir à quel point les gens en général ont peur de ce qui est différent, de ce qui leur propose quelque chose de différent. Bref, une très bonne lecture pour moi.

Tout au long de l’histoire, on se questionne. Qui est Sal? Est-il vraiment le diable ou un jeune garçon échappé d’une ferme voisine? Il semble savoir des choses qu’il ne devrait pas savoir, a des réactions particulières. Un peu comme le petit Owen dans « Une prière pour Owen », il va rester mystérieux.

Nous avons donc un endroit où tout le monde se connaît, C’est triste, déchirant et l’autrice a clairement réussi à nous ramener dans les années 1980, le racisme est très présent – et les gens n’en ont même pas honte – l’homophobie est la norme, le crainte du sida plane et personne ne connaît vraiment la maladie. Le contraste entre la petitesse des vues et des préjugés et le côté flamboyant des années 80 est frappant. Le narrateur est Fielding Bliss, qui avait 13 ans au moment des faits qu’il nous raconte, mais qui a 80 ans quand il raconte cette histoire. Il nous parle parfois de façon énigmatique, par métaphores, son regard teinté par la douleur et la nostalgie. La plume est magnifique, passant parfois du réalisme à la poésie, et elle est très évocatrice de cet été caniculaire, où le diable n’est clairement pas celui qui se dit l’être.

Un texte poignant, tragique, où nous voyons les choses venir sans pouvoir rien faire pour les arrêter. La vague de chaleur agit comme catalyseur à toutes les violences possibles. Après tout, il faut bien trouver un coupable.

Bref, unt très bonne lecture.

Nestlings – Nat Cassidy

Ce roman était dans la liste de favoris de Gabby Reads et comme j’aime bien l’horreur étrange qui peut s’interpréter comme étant métaphore de la réalité, je me suis dit que ça pourrait fonctionner. Et savez-vous quoi? Yep! Vraiment!

De quoi ça parle

Après des années en fertilité, la naissance de Charlie a laissé Ana paraplégique et elle est en pleine dépression post-partum. Mais la chance semble tourner quand elle et son mari sont tirés au sort pour une lotterie d’appartement dans l’un des immeubles les plus huppés et mystérieux de New York, le Deptford. Mais lors de la visite, Ana se sent mal à l’aise, étrangère. Se sentira-t-elle chez elle dans ce magnifique immeuble?

Mon avis

Non mais quelle réussite que ce roman pour moi. J’avais un peu peur au début parce qu’en fait, le livre faisait son boulot : on ne se sentait pas bien du tout dans cet immeuble, mais pas du tout! On sait très rapidement qu’il y a un élément fantastique dans l’histoire, on sait que ça ne peut pas bien aller et que toute cette histoire est fort louche. J’ai eu l’impression de voir un film d’horreur, avec plans caméras, limite avec de la musique qui fait peur. L’atmosphère est hyper réussie et il y a de multiples interprétations possibles à la signification des événements du roman, même si l’auteur nous explique ce qui lui a donné naissance. J’ai aimé y voir de multiples choses différentes.

Donc, le Deptford, immeuble fascinant, rayonnant, dans un New York grouillant et mouvant. Il n’y a presque aucune information sur l’endroit mais il semble avoir été témoins de drames multiples et variés. Si Ana se sent rapidement « pas chez elle », Reid, son mari, qui a été proche aidant et qui a tenu le fort depuis la dernière année, s’y plait davantage et comprend de moins en moins les réactions de sa femme, qu’il juge exagérées. Bref, l’immeuble le hante, mais dans le bon sens.

Entre les deux époux, Charlie, la fillette d’un an qui réagit très fortement à l’arrivée dans le nouvel appartement chic et qui semble pleurer sans arrêt. Ana n’en peut plus et sa relation avec sa fille est trouble. Elle a un historique avec sa mère et ne se sent pas la mère « qu’il faut » pour sa fille. Sa fille qui lui semble de plus en plus étrange et elle a peur de ses propres réactions face à elle, alors que la voix de sa mère à elle, dans sa tête, lui rappelle combien elle n’est pas adéquate. Bref, Ana est une personne dont la vie a complètement changé, qui ne sait plus qui elle est et qui n’a pas encore fait le deuil de qui elle était avant. Elle est loin d’être parfaite mais elle sonne vrai et ce même si l’auteur n’est pas lui même en fauteuil roulant.

Un roman qui utilise l’horreur pour discuter du sentiment de n’appartenir à nul endroit, de la maternité et de la dépression post partum, du handicap, du deuil et des effets secondaires de toutes ces transformations autour de soi, surtout quand les tragédies s’accumulent et que nous perdons pieds. J’ai adoré la fin qui parle d’amour maternel, d’acceptation de qui sont nos enfants… bref, j’ai adoré.

Un très bon roman et maintenant, j’ai envie de lire le précédent roman de l’auteur. Quand j’aurai envie d’un peu d’horreur ou de gothique!

The Hearing Trumpet (Le cornet acoustique) – Leonora Carrington

Je connaissais Leonora Carrington comme peintre surréaliste mais je ne savais pas du tout qu’elle avait écrit des romans. Quand je l’ai vue dans la liste de favoris de Paper Palace, j’ai eu envie de m’y plonger, of course. Surtout quand je l’ai croisée dans deux autres ouvrages dans la même semaine. C’était écrit dans le ciel.

De quoi ça parle

Ou plutôt « comment ça commence ». Nous rencontrons donc Marian Leatherby, nonagénaire presque complètement sourde habitant avec son fils, sa belle-fille et son petit-fils. Son amie Carmella lui offre un jour un cornet acoustique qui lui permet d’entendre parfaitement et Marian découvre que comme ils la pensent sénile (et bon, elle dérange, en fait, cette vieille qui ne sert plus à rien), ils veulent la placer en maison de retraite. Le problème, c’est qu’elle, elle souhaitait aller en Laponie.

Et ça va arriver. Et elle va arriver dans un milieu complètement barré… et ça ne va pas s’améliorer. Mais je vous laisse découvrir!

Mon avis

Clairement, j’ai adoré cette courte lecture. Plus ça part dans tous les sens plus j’aime. Et ici, on part d’une maison de personnes âgées tenue par un couple chrétien, les Gambits, qui tente de contrôler les 10 pensionnaires en les « améliorant » et en les aidant à expier et éliminer leurs fautes. Non mais comme si on n’avait que ça à faire à 90 ans! Elles mangent presque du pain sec, habitent dans des bottes, des igloos, des phares, des champignons mais dans la salle à dîner, un curieux portrait, une nonne qui semble leur faire un clin d’oeil.

C’est un roman féministe, presque anarchiste. On explore le traitement des personnes âgées et surtout des femmes âgées qui n’ont pas beaucoup de choix dans les rôles qu’elles peuvent tenir. Une fois moins belles, moins désirables, elles n’ont plus de place dans la société et perdent tout pouvoir, devenant ainsi des fardeaux dont on veut se débarrasser. La famille de Marian est dé-tes-ta-ble en ce sens. Tout ce propos est hyper intéressant sans être non plus martelé. Il est impossible à manquer par contre car si ça peut vous sembler étrange… attachez vos tuques, ça va encore déraper!

Le récit est totalement surréaliste. On y retrouve des référence à la mythologie (aux mythologies devrais-je dire), aux évangiles gnostiques, aux créatures surnaturelles ainsi qu’aux symboles ésotériques. Entre Graal, Déesse et sorcellerie, il faut accepter de se laisser porter par le propos de l’autrice, accepter les impossibilités et apprécier l’imagination et les liens que fait l’autrice. Je ne crois pas avoir compris toutes les références, loin de là… mais j’ai adoré.

Mon amie Mamaki a moins aimé la partie sur la fameuse bonne soeur qui lui a semblé longue mais pour ma part, j’ai apprécié à cause des fameuses références. Et à partir de là, ça part vraiment ailleurs. Mais VRAIMENT.

Bref, si vous voulez être déstabilisé, tentez le coup. C’est drôle, la voix de la narratrice est hilarante et déconcertante, c’est intelligent et ça attaque férocement le patriarcat ainsi que la religion. Tout ce que j’aime.