Présentation de l’éditeur
« Le vieux majordome Stevens a passé sa vie à servir les autres, métier dont il s’acquitte avec plaisir et fierté. C’est un homme qui se croit heureux, jusqu’à ce voyage qu’il entreprend vers Miss Kenton, l’ancienne gouvernante du château, la femme qu’il aurait pu aimer s’il avait su ouvrir ses yeux et son coeur… »
Commentaire
Ah mais quel roman magnifique!!! J’ai été charmée par Ishiguro dans « Auprès de moi toujours » mais je pense que je le suis encore davantage avec ce roman. Bizarrement, je n’ai pas vu le film et le sujet ne me tentait pas vraiment (bon ,en disant ça, vous vous demandez peut-être ce que le livre fichait dans ma pile… mais des fois, dans la vie… faut pas trop se poser de questions). Il a donc fallu une lecture commune avec Bladelor et Kali pour me décider à l’ouvrir et vraiment, j’ai été très, très touchée par ce roman.
Le roman se déroule en six jours, en fait. Six jour où Stevens, majordome, va en ballade pour une question professionnelle, comme il le précise souvent, rejoindre Miss Kenton, l’ancienne gouvernante du domaine de Darlington Hall, grande demeure anglaise qui fait sa fierté et dans laquelle il a servi Lord Darlington pendant 35 ans. Maintenant, c’est un Américain qui l’a acquise et Stevens tente de servir son nouvel employeur, tout en idéalisant les années passées auprès de son précédent employeur, de même que ce dernier. Stevens, en parcourant la route qui mène d’Oxford aux Cornouailles, se remémore le passé, en particulier la période où Miss Kenton travaillait également au domaine. Mais c’est normal, hein, il s’en va la voir. Pour une question professionnelle, bien entendu.
Stevens, c’est le stéréotype du majordome anglais (butler), le « gentleman’s gentleman ». Rigide, digne en toute occasion, ne laissait aucune place au hasard. Stevens a passé sa vie au service de son employeur, lui faisant aveuglément confiance et se définissant uniquement par son travail, dont il nous parle énormément dans le livre. Car il s’adresse à nous, à travers ces pages, par des réflexions parfois tragiques et parfois presque comiques tellement il est « stiff » et rétrograde (il est contre le vote, c’est tout dire!).
Mais c’est extrêmement triste aussi. J’ai eu beaucoup de peine pour cet homme ainsi que pour ceux qui l’ont côtoyé car il ne sait absolument pas qui il est en dehors du rôle de majordome. Il choisit de n’être rien d’autre. De façon délibérée. Il choisit sciemment d’ignorer certains faits pourtant évidents pour ne pas ternir ses idéaux et sa vision des choses. Il tente de nous convaincre, de se convaincre qu’il ne ressent rien, qu’il ne voit rien. Bien entendu, tout était « professionnel » entre lui et Miss Kenton. Bien entendu, Lord Darlington était un homme bon, il voulait bien faire. Bien entendu. C’est important que nous le croyions. Et c’est vraiment très triste. Choisir de ne pas être, en fait.
L’étude psychologique m’est vraiment apparue comme très juste car Ishiguro laisse le lecteur comprendre seul le mécanisme de pensée de Stevens qui se cache sous ses grands discours et ses justifications. J’aime quand on me laisse réfléchir par moi-même. J’aurais détesté qu’on me prenne par la main. Ici, on lit le texte et on comprend petit à petit qui était ce Stevens, ce qu’il a refusé de voir, comment il a blessé les gens en refusant de les reconnaître en tant que personnes et en supprimant toute once de spontanéité en lui-même.
Le quatrième de couverture parle d’une « histoire belle et triste » et je trouve que ces mots conviennent très bien. Beaucoup de nostalgie et cette histoire d’amour qui n’a jamais pu éclore est très touchante. J’ai vraiment apprécié cette ambiance d’entre deux guerres, qui nous laisse entrevoir l’Histoire qui se profile à l’horizon. C’est très, très british et Ishiguro réussit vraiment à faire vivre la voix de Stevens dans ces pages. On y croit. Toutefois, ceux qui s’attendent à de l’action seront forcément déçus; il s’agit d’un roman plutôt psychologique, introspectif… pour nous, du moins!
Un très beau moment de lecture et un coup de coeur, donc.