Babel – An arcane History – R.F. Kuang

Ce roman était LE roman dont j’avais hâte à la sortie. Si j’avais fini et posté le tag de début d’année que j’avais filmé, c’était « my most anticipated new release ». J’ai adoré les deux tomes lus de La guerre du Pavot et là, elle nous proposait un Dark Academia avec, comme toile de fond, l’anticolonialisme. Il me le fallait. Et je l’ai lu dès sa sortie.

De quoi ça parle

Robin Swift est un jeune orphelin né à Canton dans les années 1820. Suite à la mort de sa famille, il est emmené en Angleterre par un riche professeur où il sera formé en latin et en grec afin de pouvoir intégrer la célèbre et puissante Babel, l’académie de traduction d’Oxford. À cet endroit, non seulement on étudie, mais on est aussi responsable de graver l’argent, qui permet à l’Empire britannique de magnifier sa puissance. Ce monde utopique se révèle toutefois traître car nous sommes en plein colonialisme, les guerres de l’opium planent et nos protagoniste se retrouvent à la merci d’un univers qui a besoin d’eux, mais qui ne les accepte pas.

Mon avis

Ce roman c’est… quelque chose. J’étais certaine que ce serait dans mon top lectures de l’année avant de l’ouvrir mais j’ai eu des ups and down. Mais je m’explique. Sans spoiler. Du moins j’essaie.

Nous sommes donc dans un univers qui ressemble au nôtre. Certes, il y a l’argent (le métal… pas la monnaie) qui donne du pouvoir à l’aide de mots traduits en divers langages, mais c’est notre monde. Et la problématique qui y est décrite est réelle. Nous sommes en pleine époque coloniale, l’empire britannique est prêt à tout pour conserver son luxe et son pouvoir et il considère toutes les autres nations comme inférieures. Donc, s’en servir sans scrupule, aucun souci. Nous avons donc un commentaire de premier plan sur le colonialisme mais aussi sur l’industrialisation et le capitalisme. Impossible de le manquer. C’est « in your face » dès le début et c’est répété maintes et maintes fois. Le racisme, à cette époque, c’était terrible et certains passages sont très difficiles à lire. Le professeur Lovell, le « gardien » de Robin est un être… immonde. Et le pire, c’est qu’il représente sans doute assez bien ce que les riches anglais de l’époque devaient penser. Bref…

J’ai adoré le début du roman. Le personnage de Robin et son évolution est fascinante et sa vision très naïve du monde nous permet presque de croire à l’utopie que semble être Babel, avec ces gens de toutes les nations travaillant ensemble. J’aurais aimé que cette illusion soit gardée un peu plus longtemps, j’aurais aimé y croire moi aussi mais je comprends le choix de l’autrice. Ceci dit, les parties qui se passent à l’université, les dissertation sur la langue, le langage, la traduction… j’ai tellement aimé. J’y ai retrouvé cette idée que chaque langue a sa couleur, sa texture et que traduire, c’est trahir. Les explications étymologiques étaient fascinantes, les cours… bref, la partie que certains ont trouvé plus « académique » a été ma préférée de tout le roman. Le système avec l’argent m’a passionnée, justement parce qu’il fait appel à ce qu’on « perd » à la traduction, ce qui reste pris entre deux langues. L’atmosphère de l’université est très bien retranscrite. J’aurais aimé « voir » davantage des interactions positives entre nos quatre personnages principaux plutôt que simplement me les voir expliquées. Ici, on voit surtout les discussions par rapport au racisme mais assez peu les autres. Je crois que le côté « found family » aurait été plus fort – et plus tragique – si on avait assisté à davantage de scènes. Mais je pinaille.

Si je me doutais de comment le tout allait tourner, ce n’est pas plus facile à lire pour autant. La fin nous sort de cet univers douillet et nous emmène ailleurs, où il y a davantage d’action et de violence (en même temps, c’est RF Kuang, il fallait s’y attendre). Dans cette partie, on nous noie littéralement dans le message, avec lequel, soit dit en passant, je suis totalement d’accord. Mais c’est beaucoup de redites et il y a peu de zones de gris. Entendons-nous, dans la situation du colonialisme, il n’y a pas à en avoir. Mais il y a assez peu de place pour la rédemption et les différences interindividuelles. Ça laisse aussi très peu d’espoir au « vivre ensemble », c’est profondément déstabilisant et ça fait réfléchir.

Et parlons langage. Dans un roman qui y accorde autant d’importance, j’ai trouvé particulier de retrouver une façon de parler du racisme très 2020… dans le Oxford de 1830. Les termes utilisés, les thèmes et façons de voir les choses sont très actuelles et font assez anachroniques dans cet univers. Ceci dit, je ne suis pas assez connaissante sur le sujet pour bien connaître les discours contre le racisme de l’époque et dans un univers fantastique, l’autrice peut bien faire ce qu’elle veut. Toutefois, la manière d’en parler était particulière étant donné le contexte.

En résumé, une très bonne lecture qui fait cogiter et qui pourra plaire aux amateurs de romans denses et sombres de l’univers académique, qu’on écorche au passage. C’est savant, bien documenté et argumenté et j’ai été complètement immergée dans l’histoire. Il faudrait que je finisse The Poppy War maintenant.

Il y a 15 ans, j’ouvrais un blogue…

… et je le baptisais en l’honneur de mon coin lecture personnel, ma verrière, où j’ai pris plaisir à lire pendant 20 ans. Quinze ans plus tard, le blogue est toujours là, avec ses hauts et ses bas mais le coin lecture, lui, n’existe plus suite à un glissement de terrain ayant eu lieu en juin. Ceux qui me suivent sur les réseaux sociaux savent, je ne vais pas trop récapituler ici, mais en gros, la maison a été démolie et j’ai eu 30 minutes pour pouvoir récupérer le plus possible du contenu de la dite maison.

Je voulais mes tableaux, mes souvenirs de voyage, mes photos… et mes livres.

Qui aurait cru qu’on pouvait sortir tant de livres par les fenêtres d’une maison en 30 minutes!

Bref, je n’ai plus de maison. Je me suis réinstallée chez mes parents pour passer l’hiver, je lis beaucoup moins que d’habitude… mais je blogue toujours. Du moins, j’essaie. Avec des niveaux de réussite très variables, limite aléatoires!

Avec le temps, j’ai vu disparaître beaucoup des mes blogs-référence mais certains sont toujours là et j’y passe encore avec plaisir, sans toujours laisser trace de mon passage. Je m’amuse avec Instagram (le temps de retrouver mes marques… je n’ai plus mon décor habituel et je suis toute perdue!), j’ose parfois me filmer en train de monologuer à propos de livres sur Youtube et je participe à des Read With Me sur Twitch… mais je n’ai encore jamais compris TikTok!

Bref, je suis toujours là. Et je suis toujours aussi éclectique.

Cette semaine, on m’a posé une question : comment choisis-tu tes lectures? Où trouves-tu tes idées? C’est simple… j’ai 15 ans de vos chroniques et billets en tête. Quinze ans à lire vos coups de coeur, à les noter, les classer, à faire des listes, à relire mes listes. Quinze ans de rentrées littéraires suivies avec assiduité, de challenges aux thèmes étranges et de swaps remplis de découvertes. Et de temps en temps, l’une de ces recommandations me traverse l’esprit… et je l’extirpe de ma pile. Voilà, c’est tout. Simple hein! Le livre hyper hypé de 2009 est devenu la trésor oublié de 2022!

Je me demande donc… et vous, avez-vous déjà lu des livres grâce (ou à cause) de moi depuis le temps? Curieuse je suis!

Comme j’ai toujours du mal à mettre un point final à ce que je fais, je serais bien étonnée de DÉCIDER d’arrêter de bloguer! Peut-être est-ce qu’un jour, ça se fera tout seul, comme je le fais de temps en temps sur la chaîne Youtube… pour mieux revenir pour une ou deux vidéos!

Bref, 15 ans.

Je m’en souhaite d’autres!

Je chante et la montagne danse – Irene Solà

Je sens que je vais avoir du mal à bien parler de ce roman qui m’a fait passer un excellent moment de lecture. Je l’ai reçu par surprise, l’attachée de presse ayant – fort bien – ciblé que ça pourrait me plaire. Et quel beau récit.

De quoi ça parle

Nous sommes dans les Pyrénées catalanes, lieux mythique qui conserve la mémoire de ses habitants, de ses drames et du temps qui passe. Roman polyphonique, avec des voix étonnantes et surtout, surtout une montagne vivante qui, elle, va perdurer.

Mon avis

Des fois, on a juste besoin de beau. C’était ce dont j’avais besoin et ce roman a parfaitement répondu à mes attentes, avec une plume magnifique et poétique, des images fortes, des voix qui surprennent et un temps qui nous file entre les doigts. Nous nous baladons d’une époque à l’autre, dans un petit village qui semble hors du temps, à l’ombre des montagnes grandioses et immuables.

Nous rencontrerons donc successivement un homme frappé par un éclair, une veuve qui a dû élever seule ses enfants dans un univers dur mais superbe, un fantôme qui ne peut cesser de rire, des champignons, un ours ou des nuages. Ceci donne une impressions de fenêtres ouvertes à différents moments dans le temps, juste pour instant, et qui nous font ressentir l’esprit du lieu qui est le véritable protagoniste de l’histoire.

Mais la plume, la plume! J’ai savouré. Imaginez ces voix saupoudrées poésie, de contes et légendes des montagnes catalanes et ça donne un tout délectable. Je conseille à tous ceux qui aiment ces récits lents, un peu oniriques, où ce n’est pas l’action qui mène l’histoire. Pour ma part, ça a été une vraie réussite.

La bibliomule de Cordoue – Lupano /Chemineau

Non mais imaginez. Cordoue, l’an 1000, un autodafé et un bibliothécaire qui veut sauver des livres à dos de mule. Comment on peut résister à ça? Moi, en tout cas, je ne résiste pas et dans ce cas précis, j’ai bien fait car non seulement l’objet-livre est magnifique mais j’ai beaucoup aimé.

De quoi ça parle

Le Calife Al-Hakam II vient de mourir et le vizir al-Mansur conseille le nouveau calife âgé de 11 ans. Certains extrémistes religieux choisissent ce moment pour faire disparaître certains livres qui contredisent le Coran. De toute façon, tout ce que les gens devraient savoir se trouve dans ce livre, non? Le bibliothécaire de Cordoue, qui contient des milliers d’ouvrages d’une valeur inestimable, décide de sauver certains de ces volumes, avec une scribe-esclave ainsi qu’un voleur de grand chemin.

Mon avis

Cette BD est basée sur des faits possiblement réels. C’est à dire que des ouvrages de la bibliothèque de Courdoue, il ne reste pratiquement plus rien. Y a-t-il eu un énorme autodafé comme dans la BD? Peut-être que oui, mais peut-être que non. C’est par contre le point de départ d’une épopée qui nous amènera sur les routes actuelles d’Espagne en compagnie de personnages improbables. Et cette aventure m’a passionnée, rien de moins. C’est intéressant, drôle, parfois absurde, mais surtout l’occasion d’apprendre énormément sur l’histoire de l’époque (le document à la fin est très très bien fait d’ailleurs. Il remet les choses à leur juste place et, entendons-nous, j’ai fait des recherches). Vous savez le genre d’aventure folle où on sent que les auteurs se sont vraiment amusés? J’adore cette bibliomule qui adore les mathématiques et qui n’en fait qu’à sa tête, j’ai éclaté de rire à plusieurs reprises.

Les protagonistes sont tous un peu des anti-héros. Entre l’eunuque amoureux du savoir, l’esclave femme noire copiste et le voleur le plus maladroit du monde, il y a de quoi faire. Un road trip version monde andalou médiéval, certes mais aussi une bande dessinée érudite, remplie de références au monde de la science mais aussi aux contes des mille et une nuits. Je suis conquise, rien de moins.

J’ai adoré la mise en couleur, la mise en page et la façon de nous faire vivre cette histoire. Ça parle de transmission du savoir et des richesse d’un monde qui n’existe plus. Ça parle de ces personnes prêtes à tout pour en sauver les trésors et les connaissances. Le propos est malheureusement très actuel, avec cette relation trouble qui existe entre la science, la littérature, la langue et les extrémismes, qu’ils soient politiques ou religieux.

Un magnifique album. À découvrir absolument.

Tous les billets chez Noukette cette semaine.

Les pénitences – Alex Viens

Je n’ai aucune idée du moment où j’ai pu acheter ce roman. Peut-être au salon du livre de Québec… mais les derniers mois ayant été mouvementés, j’ai oublié certains détails que, normalement, je n’aurais jamais oubliés. Ouais, je suis du genre à pouvoir vous dire que tel ou tel roman, je l’ai acheté à tel endroit, avec telle personne, voire même comment j’avais auto-justifié mon achat. Bref, passons.

De quoi ça parle

Jules rend visite à son père, Denis, vieux punk (que je qualifierais tout autrement) avec qui elle n’a eu aucun contact depuis 10 ans. Elle doit lui apporter une petite boîte et si ces retrouvailles ne commencent pas trop mal, la tension va monter dans un huis-clos anxiogène.

Mon avis

Ce court roman n’est pas un roman qu’on « aime ». Il met profondément mal à l’aise, c’est glauque, c’est malsain et il nous fait presque suffoquer par moments. Dès l’entrée en matière, à l’arrivée de Jules chez son père, on ressent le poids du passé. On comprend que les relations ne sont pas égalitaires et que ça risque de déraper. Et pour déraper, ça dérape.

Le vieux tabarnaque!

On comprend graduellement la nature de la relation entre la fille et son père, faite de brimades, de culpabilité, de manipulation mais aussi d’un terrible besoin de plaire et d’être aimée. Tout au long de la rencontre, l’angoisse monte et les petites choses étrange du début prennent une toute autre ampleur (les c… de pâtes!). La violence psychologique du huis-clos est terrible, presque trop pour moi par moments. C’est tellement loin de mon univers, autant par le lexique que par la façon d’agir du père… Et dire que ça existe! Je suis sortie du roman avec un profond malaise. En fait, c’est réussi parce que c’est clairement ce que l’auteurice tente de faire ressentir. Ce sentiment de perte de contrôle, d’imprévisibilité nous donne l’impression d’être une proie aux aguets et imaginer ce qu’a pu être l’enfance de Jules alors qu’elle ne savait jamais à quelles réactions s’attendre… je n’ose même pas.

J’ai particulièrement aimé le contraste entre les dialogues, très crus, vulgaires, remplis de ces mots qui veulent dire tout est n’importe quoi, et certains passages remarquablement travaillés, qui font justement l’éloge des mots qui donnent du pouvoir. On sent que cette façon de faire a été réfléchie pour bien réfléter certaines réalités. Bref, une voix à suivre car il y a un vrai souffle dans ce récit.

Vespertine – Margaret Rogerson

Voici donc ma première lecture pour le Pumpkin Autumn Challenge 2022. J’avais repéré ce roman en anglais parce que dès qu’il est question de nonnes combattantes, I’m all in, la trilogie de Mark Lawrence en étant un exemple, dans un registre plus adulte. Il ne faut pas chercher plus loin, ni tenter de comprendre, je pense!

De quoi ça parle

Artimisia est en voie de devenir une soeur grise, l’une de celles chargées de purifier les corps afin que leur âme se libère et ne reviennent pas sous forme d’esprits pour s’en prendre aux vivants. Ayant été possédée en bas âge, Artimisia fait peur et préfère largement la compagnie des morts à celle des vivants. Quand le couvent est pris d’assaut par une armée possédée, elle va se retrouver bien malgré elle au coeur de la bataille, avec en prime un esprit du 5e ordre qui n’a aucune envie de retourner dans sa relique.

Mon avis

Non mais j’ai donc ben aimé ça! Je pense que ce roman, c’était exactement ce dont j’avais besoin au moment précis où je l’ai lu. Une histoire. Juste une histoire. Certes, il y a des discussions sous-jacentes mais ce n’est pas un roman qui défend une cause. Mais c’est toute une aventure par contre! Un univers fantasy intéressant, des esprits qui peuvent posséder certains humains, des nonnes et surtout un Revenant souvent hilarant, qui se retrouve pris à collaborer avec une de ces humaines, espèce qui l’a enfermé dans une relique pendant des centaines d’années. J’ai adoré les échanges entre Artimisia, qui n’a aucune idée de ce qu’elle fait, et le Revenant, qui se positionne comme un collaborateur/professeur récalcitrant en face d’une élève à qui il manque ma foi quelques bases. Pas qu’il ait le choix.

On découvre l’univers petit à petit, par le biais d’une jeune fille qui n’a vu du monde qu’un enclos et un couvent. Elle n’a suscité presque uniquement des réactions négatives de la part des autres et a assez peu d’espoir en général quant à son avenir. Le fait qu’elle n’a pas beaucoup d’insctinct de self-preservation peut donc facilement s’expliquer, de même que son anxiété sociale. Elle ne sait pas comment agir avec les gens et a tellement été rejetée souvent qu’elle a cessé d’essayer, ce qui la rend assez froide, mais elle m’a tout de même beaucoup plu. Les personnages secondaires se révèlent aussi petit à petit… bref, j’ai aimé. Le tome se tient en lui-même mais il y a encore pas mal de choses à résoudre dont THE question! La mythologie est chouette et ouvre des questionnements à mesure que le récit avance.

L’autrice a réussi à créer une ambiance glauque et fascinante à la fois. J’ai trouvé très efficace le mélange d’action et de descriptions et je ne me suis pas ennuyée une seconde. J’ai beaucoup apprécié le fait que l’héroïne sache parfaitement qu’en fait, elle n’a pas grand chose à voir avec tout ce qui lui est attribué et j’ai bien aimé le fait qu’il n’y ait pas une romance sortie de nulle part après 9 minutes et quart, en plein milieu d’une guerre! L’écriture est très visuelle et j’ai été complètement immergée dans cet univers.

Et ça, ça faisait longtemps.

Donc, une très belle surprise pour moi. Et si suite il y a, je la lirai certainement, même si je suis tout de même satisfaite de la finale et des portes qui restent ouvertes!

Femme forêt – Anaïs Barbeau-Lavalette

Je ne sais pas ce qu’il y a dans la plume d’Anaïs Barbeau-Lavalette, mais elle pourrait me parler de son récent passage à l’épicerie et j’adorerais, je pense. Un roman du confinement, dans une forêt, ce n’était pas gagné. Et pourtant, pourtant… je n’ai pas pu le lâcher.

De quoi ça parle

Ils sont quatre adultes et 5 enfants, dans une maison centenaire dans ce qui semble être les Cantons de l’Est. Ils n’ont pas de réseau, font des voyages aux 2 semaines à l’épicerie, il y a des nids de souris dans le piano et des couleuvres dans le salon. À l’intérieur des murs et des coeurs, ce n’est pas toujours facile. L’autrice s’ouvre donc à ce qu’il y a au dehors, au vivant, sous toutes ses formes.

Mon avis

J’ai toujours du mal à parler de ce qui me plait tant chez cette autrice. Sa plume, sa façon de dire les choses, de rendre beau les petits moments et les grands drames du quotidien sans pour autant tomber dans le niais… il y a pour moi quelque chose d’intemporel, qui fait son chemin en moi. J’avais prévu de lire quelques pages et finalement, je ne voulais pas sortir de cette atmosphère et je n’ai pas pu le lâcher. Tout ça même si, au fond, il y a très peu de fil conducteur, même si ces réflexions au fil du temps ne nous mènent pas vraiment à un endroit précis. On se laisse porter dans ce que nous savons être une parenthèse dans la vie de l’autrice.

Nous avons ici une véritable ode au vivant en général, à la nature et au cycle de la vie. C’est redécouvrir le dehors quand l’intérieur étouffe. C’est revenir à petite échelle quand tout s’écroule autour de nous. Certes, on est en pandémie, on la sent par certaines phrases mais ce n’est un roman « sur » la pandémie. C’est un texte sur le beau, sur l’intime, sur la naïveté et l’émerveillement de l’enfance. On s’émeut de toutes les phases de la vie mais aussi sur sa fin et sur ce qui la précède. C’est triste par moments, on se rappelle de moments difficiles mais c’est surtout très beau, très riche, très humain. Le contact avec le vivant, quelqu’il soit, réconforte, que ce soit par l’observation d’un oiseau ou par un calin de dos. Dans ces moments d’isolement « ensemble », on va à la rencontre de l’autre, de leurs histoires et de leur quotidien.

Encore une fois, la filiation est au centre du roman d’Anaïs Barbeau-Lavalette. On retrouve encore une fois sa famille, ses presque-grands-mères ainsi que ses parents, avec cette réflexion sur le trauma intergénérationnel, la liberté, mais la liberté tout étant celle qui reste.

J’ai noté des dizaines de phrases, provenant autant de l’autrice ainsi que des références, parfaitement choisies… j’avais l’impression de lire tout plein de petits poèmes. Inutile de préciser que j’ai très hâte de lire sa prochaine sortie.

La cité oblique – Ariane Gélinas/Christian Quesnel

Je ne résiste jamais à Lovecraft et à l’univers de Cthulhu. Oui, je sais, l’auteur était raciste et xénophobe mais je l’ai lu enfant et la petite fille que j’étais n’a pas du tout interprété ses monstres comme étant une allégorie de tout ce qui est « autre ». Du coup, je reste attachée à cet univers et cette esthétique, même si je lis différemment maintenant.

De quoi ça parle

Quant à cette oeuvre en particulier, elle est basée sur sur des récits de voyage – très factuels, je suis allée vérifier- de Lovecraft à Québec dans les années 30. Les auteurs ont choisi de réinsérer ces écrits, ainsi que l’histoire du Québec, dans le Lovecraftverse. L’Histoire écrite par ceux-qui-savent, quoi!

Mon avis

Cette BD est une oeuvre d’art. En plus de vibrer pour l’univers, je suis fan du travail de Quesnel à l’aquarelle qui donne à ce roman graphique un aspect mystérieux, fantasmagorique. J’ai aimé le mélange des époques, les touches de fantastiques, les références à la pop culture de la fin du 20e (Jason, je pense à toi). L’aspect coulissé de l’aquarelle ajoute encore une petite touche de mystère, de glissement vers ce monde d’en dessous. Chaque planche est remplie de détails et je me suis prise à les admirer de longues minutes. Le texte d’Ariane Gélinas, à la fois poétique et Lovecraftien (les noms… j’ai souvent éclaté de rire), complète parfaitement les illustrations, insérant parfois l’auteur et sa vision du monde.

J’ai beaucoup aimé ici le traitement de l’autre et des monstres qui ne sont pas foncièrement méchants malgré leur aspect. Le parti pris est un beau pied-de-nez aux idées rétrogrades (même pour l’époque) de l’auteur. Ici, on voit les premières nations, les vikings, l’arrivée des Français, jusqu’à la conquête. On croise plusieurs personnages historiques et le côté fantastique de ceux-ci pourra être une bonne introduction à l’Histoire. C’est que ça accroche l’imaginaire et que le côté légendaire, plus grand que nature, est parfaitement réussi!

Bref, un album virtuose, déjanté, éclaté, et une excellente lecture. Réécrire Lovecraft à la sauce Lovecraft, il fallait oser!

Les impatientes – Djaïli Amadou Amal

Si c’est d’abord la couverture, cette femme floue qui tente de regarder vers l’avant, qui m’a attirée, j’ai fini par écouter ce roman en audio car je suis tombée dessus à la bibliothèque. J’en avais un peu entendu parler, je savais que l’autrice était une féministe camerounaise… et c’est à peu près ça. Cette écoute a donc été une bonne surprise pour moi.

De quoi ça parle

Cameroun, région du Sahel. Trois femmes s’entrecroisent. Deux d’entre elles s’apprêtent à se marier, de passer de possession paternelle à possession du mari. Une autre voit son quotidien changer avec l’arrivée d’une nouvelle personne dans sa vie. Ramla, Hindou et Safira tenteront de faire entendre leurs voix dans ce monde où elles ont si peu de place.

Mon avis

Certains ont reproché à ce roman de ne pas offrir de vrai arc narratif, de ne faire qu’explorer le sujet. Je ne suis pas d’accord. Certes, il aurait pu, mais il aurait été autre chose. J’ai eu l’impression de trois fenêtres entrouvertes pendant un moment, fenêtres qui se referment par la suite sur ce qui est le quotidien de ces femmes. Ici, pas de miracle. Les filles font ce que disent leurs pères, puis leurs maris. Mounyal. Patience. Quand on t’impose une volonté. Quand on te reproche tout. Quand on te bat. Qu’on te viole. Patience. Patience.

Pour moi, c’était assez. Suffisant. Je ne sais pas si j’aurais pu en prendre davantage de toute façon. Le roman s’ouvre sur les discours qui sont faits aux filles lors de leur mariage et c’est effarant pour l’occidentale que je suis. Je ne suis pas là pour juger une culture qui m’est inconnue mais l’autrice a grandi dans cet environnement et le portrait qu’elle en fait frappe fort. Vers qui se tourner quand on perd pied? Quand la famille se fait complice? Les filles sont toujours fautives. Toujours. Même quand clairement, ce sont les hommes qui déconnent. C’est parfois d’une violence inouïe.

Ce qui lie ces femmes? La révolte, le désir de fuite, chacune à leur manière, avec un succès tout relatif. Chaque petit pas compte : apprendre à lire, à conduire, vouloir étudier, oser parfois parler, questionner. Parfois l’espoir pointe. Un frère qui se révolte, une réflexion qui fait du bien, certaines idées sur la condition féminine qui pointent le bout de leur nez.

Un texte qui touche, qui fait mal sans pour autant tomber dans le misérabilisme et qui nous fait entrevoir la vie derrière ces concessions fermées, dans ces familles polygames. Quand on n’y connaît rien, c’était assez. Je ne sais pas si j’aurais pu en prendre davantage. Toutefois, je me souviendrai de cette litanie, mounyal, mounyal…

Les 4 enquêtrices de la supérette Gwangseon – Gunwoo Jeon

Clairement, je n’aime pas du tout la couverture. Je ne l’aurais JAMAIS lu si ça n’avait été du challenge Lisons l’Asie d’Eva pendant lequel ont fleuri plusieurs avis positifs. J’ai donc tenté le coup et c’était ma foi une bonne lecture, même si je ne suis pas non plus tombée en bas de ma chaise.

De quoi ça parle

Nous sommes en Corée et dans une petite supérette de quartier se rencontrent 4 femmes, toutes dotées de gros machos finis en guise de maris. Quand un exhibitionniste commence à sévir dans leur résidence, elles décident de lancer à sa poursuite afin de récupérer la prime, argente qui permettrait à l’une d’elle de divorcer. Le seul problème pour nos Sherlockettes en herbe, un serial killer – rien de moins – réapparaît au même moment.

Mon avis

Je croyais avoir affaire à un cosy mystery humoristique en choisissant ce roman. Un genre de Stephanie Plum, mais à la sauce coréenne. Oui… mais non. Il y a des aspects humoristiques à ces femmes qui font un peu n’importe quoi dans leur enquête mais ce n’est pas vraiment cosy et ce sont surtout des thèmes féministes qui sont abordés.

J’ai eu un peu de mal avec l’écriture au départ, peut-être en raison de la traduction. C’est d’ailleurs ce que j’ai le moins aimé dans le roman, la plume. Toutefois, cette incursion dans une résidence coréenne, assez dépaysante, m’a fait passer un bon moment de lecture. Divertissant, glauque par moments, je retiendrai surtout les références à Sherlock (ces imperméables par 40 degrés!) et l’amitié qui unit ces femmes qui n’y connaissent rien mais qui, ensemble, peuvent faire de grandes choses.

Dès le début, on retrouve l’une d’elle chez le psychiatre. On sait qu’elle se cherche et que sa vie ne la satisfait pas et que la section des enquêtrices mères au foyer comble un vide dans son quotidien. Et bon, il faut l’avouer, le petit exhibitionniste (petit dans tous les sens du terme) gentiment surnommé « boules de mulot », il n’a pas l’air bien dangereux. Il y a un humour décalé, les situations sont parfois grand n’importe quoi (je cherche un mot et je ne le trouve pas… et j’ai décidé d’abandonner la dite recherche) mais elles deviennent de plus en plus dangereuses à mesure que le récit avance.

Un bon moment de lecture, divertissante et tout. Je n’ai pas ri aux éclats, je ne vais porter le roman aux nues mais je relirais une autre aventure de ces femmes avec plaisir.