Refaire l’amour – Myra-Belle Béala de Guise

Je dois tout de suite l’avouer, j’ai failli abandonner ce roman. J’ai réalisé assez tôt que ce n’était pas pour moi mais parce que je suis butée, j’ai encore du mal à abandonner. Aurais-je manqué quelque chose? Dans mon cas, pas vraiment, même si j’ai préféré la fin au début (et au milieu). Ceci dit, deux de mes amies ont adoré. Bref…

De quoi ça parle

Stella et Mikaël sont devenus parents presque avant d’être adultes. Devant son chum, Stella n’est pas « forte ». Elle le voit, elle se liquéfie. Le grand amour. De cette union, Lou est née. Maintenant, Lou a 13 ans et elle aimerait bien une vie plus harmonieuse. Sauf qu’entre ses parents, rien ne sera jamais simple…

Mon avis

Si j’ai continué ce roman, c’est parce que la plume de l’autrice me plaisait. J’aimais bien les dialogues, que je trouvais naturels, et la façon de raconter cette histoire remplie d’éternels recommencements me plaisait. L’écriture et les mots. L’histoire, moins.

C’est donc l’histoire d’une relation toxique dans laquelle est prise une jeune fille de 13 ans qui n’en demandait pas tant. Stella est une femme intelligente qui craque complètement pour Mikaël, terriblement manipulateur, roi du ghosting et de la non-reconnaissance de ses torts. Entre eux, au lit, c’est torride… sauf qu’il n’y a jamais d’après, au grand désespoir de Stella. Et en tant que lectrice, c’est épuisant. Toujours la même histoire, à répétition. J’aurais voulu frapper Mikaël.

Je suis consciente que c’était probablement le but de l’autrice, de nous faire ressentir ces cycles infernaux. Plusieurs d’entre nous sont déjà « retombées » auprès d’un mec trop beau qui ne voulait qu’une part (ou une partie) de nous. Alors qu’on savait, au fond. Mais il y a Lou, qui semble parfois la plus mature des trois, et vivra aussi plusieurs désillusions. Bref, j’avais le goût de secouer tout le monde.

J’aurais apprécié que le récit se concentre sur autre chose que la relation entre Mikaël et Stella, qu’on découvre d’autres aspects d’eux. Ici, j’ai trouvé des longueurs et je me suis lassée. Ceci dit, ce sont des longueurs bien écrites! Si l’autrice écrit sur un autre thème, je réessaierai probablement.

Ann d’Angleterre – Julia Deck

J’avais en tête cette année de lire les principaux prix littéraires pour un concept vidéo. Bon, le concept vidéo a pris le bord (avec les vidéos en général, je pense), mais j’ai quand même lu Ann d’Angleterre.

De quoi ça parle

La mère de Julia Deck a fait un AVC. Elle est restée 28 heures sans pouvoir se lever sur le sol de sa cuisine avant que Julia ne l’y trouve. Le pronostic est sombre. Pendant qu’elle se débat dans les méandres des hôpitaux et des unités de gériatrie, elle se rappelle sa mère et raconte son histoire, à laquelle il manque des cahiers.

Mon avis

Si vous me suivez depuis un moment, vous savez que je suis toujours touchée par les récits au sujet des personnes âgées. J’aime me faire remettre en pleine face qu’elles ont été jeunes, qu’elles ont vécu et aimé. Peut-être parce que ça nous pend tous au bout du nez. Bref, Julia Deck nous raconte ici sa mère, une femme née en Angleterre, qui a fui en France, s’est baladée, s’est mariée et a souffert. Elle a aussi eu une fille, avec qui les relations ne sont pas toujours simples, les deux femmes ne réussissant pas toujours à se rejoindre et à communiquer. Ann était une femme secrète et maintenant qu’elle ne peut plus parler (ou presque), sa fille tente de mieux la cerner et surtout de retrouver la femme qu’elle était dans celle qui la regarde maintenant de son lit, avec de l’eau gélifiée sur le menton.

Nous avons donc un roman très bien écrit, à la narration qui passe du « je » au « elle » dans les parties au passé. Une fille recherche sa mère, qu’elle voit comme une étrangère, dans tous les sens du terme. Comme quoi l’amour n’a pas qu’une seule forme. Mais c’est aussi une rencontre difficile avec le système de santé, ses failles et ses incohérences. Entre les tracasseries administratives, les gens désabusés (et ceux qui ne le sont pas) et le manque de services, elle se retrouve dans la peau d’une proche aidante complètement perdue comme dans la maison qui rend fou. Cette analyse est à la fois touchante et cynique et elle joue avec les noms propres pour refléter ses sentiments par rapport aux gens et au système. Rempli de failles, le système. Et si c’est comme ici, ça ne s’améliore pas.

C’est autobiographique, c’est une histoire de famille et le reflet d’une époque révolue où certaines choses aberrantes étaient presque normales et où on balayait volontiers sous le tapis ce qui pourrait faire honte à la famille. Ann était une transfuge de classe, toujours plongée dans un livre et c’est d’ailleurs la littérature qui va soutenir le lien mère-fille. J’ai beaucoup aimé mais comme presque tous les autres romans de l’autrice sont spoilés dans celui-ci… je vais attendre d’oublier!

L’hôtel des oiseaux – Joyce Maynard

J’ai découvert Joyce Maynard avec Où vivaient les gens heureux l’an dernier (ou l’autre d’avant… je pense avoir oublié de faire un billet). Même si ce roman m’avait fait rager, mais rager, et que le personnage principal était à 1000 lieues de moi, j’avais envie de la relire, ne serait-ce que pour ressentir à nouveau quelque chose d’aussi fort.

De quoi ça parle

Amelia est née Joan. Elle et sa grand-mère ont changé d’identité quand la mère d’Amelia est décédée, alors qu’elle avait 6 ans, dans une explosion terroriste à laquelle elle participait. Elle a toujours gardé ce secret et quand un drame a de nouveau fait éclater sa vie, elle monte dans un bus, sans un sous, vers elle ne sait où. C’était ça ou sauter du Golden Gate.

Elle va donc atterrir à la Esperanza, petit village au bord d’un lac, au pied d’un volcan. Plus précisément, elle sera accueillie à la Llorona, hôtel fabuleux mais en piteux état. Nous la suivrons donc pendant de nombreuses années alors qu’elle tente de se reconstruire.

Mon avis

En fermant ce roman, je me suis dit que ma prochaine destination voyage serait, sans aucun doute, un petit village, au bord d’un lac et au pied d’un volcan, quelque part en Amérique centrale. Joyce Maynard a réussi à faire vivre devant mes yeux cet endroit paradisiaque rempli de fleurs, d’oiseaux et de charme. On va dire que l’atmosphère est réussie.

Encore une fois, nous avons droit à une femme qui a eu une enfance difficile, déracinée. Sa vie n’est pas facile et c’est suite à un drame qu’elle va décider de tout laisser derrière. La Esperanza est inspirée par l’endroit où l’autrice passe beaucoup de temps depuis des dizaines d’années, situé au Guatemala. Le point de vue est celui d’Amelia, toujours au « je », et le regard qu’elle jette sur la communauté souvent attachante dans laquelle elle va graduellement s’intégrer varie au fil du temps. Tous les personnages – ou presque – sont attachants, bien qu’imparfaits mais ceux qui sont détestables… disons qu’ils battent des records. J’ai presque autant détesté certains d’entre eux que Cam, le mari dans Où vivaient les gens heureux!

Si l’autrice réussit à rendre tout ce petit monde vivant, c’est surtout Amelia qu’elle nous fait rencontrer. C’est une femme de sa génération et elle fonctionne comme tel. Ses références, ses réactions, le tout est très cohérent et Maynard parvient à nous faire ressentir peines, petits bonheurs, grandes joies et moments de trahison. La douleur et le deuil, ainsi que ce que ça implique, est également très bien exploré. Amelia est très différente de moi. Je ne me reconnais pratiquement pas en elle. Mais son histoire me touche tout de même.

L’écriture est immersive, évocatrice et on nous entraîne dans la rénovation de cet endroit de rêve, avec tout ce que ça implique. Il y a des hauts et des bas et on réalise petit à petit que la philosophie des gens du village, inépuisables, va déteindre sur Amelia. J’ai un faible pour Valentina, écologiste suivie par sa horde d’enfants recycleurs et Leyla est vraiment un beau personnage. Bref, j’ai passé un très bon moment de lecture. J’aurais peut-être apprécié une fin un peu moins précipitée… mais ça peut convenir.

Je relirai clairement l’autrice!

Filibuste – Frédérique Côté

J’ai lu ce roman au mois d’août. On me l’avait conseillé lors de ma journée du 12 août et je l’avais lu dans la foulée. Mais voilà. Je n’ai pas écrit mon billet tout de suite. Et quand j’ai décidé de le faire, une vingtaine de jours plus tard, j’ai réalisé que je n’en avais plus AUCUN souvenir. Mais aucun. Ni sur le sujet, ni sur la plume, rien. Je me souvenais juste que j’avais bien aimé. Je l’ai donc relu du début à la fin. Psychorigide, vous dites?

De quoi ça parle

Dans la famille de Delphine, Flavie et Bébé, les dimanches soirs sont ceux des soupers de famille. La soupe du dimanche. Lors d’une soirée où les couteaux volent bas (mais pas plus que d’habitude), le père s’échappe après le repas et il sera impliqué dans un accident. Un gros. Nous ne l’entendrons jamais mais les voix des quatre femmes nous raconteront l’histoire.

Mon avis

Visiblement, ça n’a pas été une lecture inoubliable, dans le sens premier du terme. Toutefois, lors de mes deux lectures, j’ai passé un très bon moment et je n’avais pas envie de quitter cette histoire. Paradoxal, je sais.

Nous sommes donc avec une famille dysfonctionnelle, où les trois soeurs, bien qu’ayant grandi ensemble, n’ont pas nécessairement eu la même mère. La mère, on la blâme facilement pour tout. Elle n’est pas patiente. Pas toujours juste non plus. Et même si elle essaie, elle s’y prend souvent mal, très mal. Lors du repas familial, nous comprenons rapidement les relations entre les soeurs et leurs personnalités ressortent aussi. Delphine, l’aînée, a du caractère et c’est celle qui a les relations les plus tendues (et vocales) avec sa mère. Flavie est médecin, douce et calme, dans l’ombre de sa soeur, Quant à Bébé, surprotégée, elle est souvent en confrontation, souvent à part et est fascinée par la saison 6 de Loft Story, la All Star. Entre l’étude sociologique de la téléréalité et celle de cette famille, je ne sais pas laquelle est la plus intéressante. Parce que rien n’est simple et qu’elles sont touchantes, ces soeurs. Bon, presque toutes.

Les thèmes sont de ceux qui m’intéressent. Je ne me lasse pas d’analyser les relations entre soeurs et les relations mère-filles, qui ne sont jamais simples. Ça permet d’éclairer les attentes différentes qu’on a envers les mères et les pères. C’est très ancré dans l’époque, les scènes autour de la table sonnent presque comme du théâtre et la construction n’est pas linéaire, vu que nous revenons à ce fameux souper après avoir pu constater les points de vue différents des soeurs et de la mère. Jamais du père, même si c’est lui qui va tout bouleverser, finalement.

Ceci dit, je ne suis pas certaine d’avoir bien saisi tout ce que nous souhaitant nous transmettre l’autrice avec ce roman. J’ai aussi trouvé la fin trop rapide et j’aurais aimé en savoir davantage sur les réactions de chacun des personnages face au fameux événement. Ça reste une bonne lecture et je relirai l’autrice.

Les voleurs d’innocence – Sarai Walker

Non mais vous avez-vous cette couverture? Bon, ça aurait été une très bonne raison de le lire mais en vrai, je l’ai en anglais, dans une couverture jaune poussin et beaucoup moins jolie que celui-ci. Mais on m’avait parlé d’un roman gothique moderne, de soeurs maudites… il ne m’en fallait pas plus.

De quoi ça parle

Les soeurs Chapel ont de prénoms de fleurs. Elles vivent dans un manoir victorien et sont les héritières d’un empire provenant des armes à feu. La mère, Belinda, croit voir l’avenir de ses filles, notamment leur mort suite à leur mariage.

Et c’est ce qui va arriver. L’aînée va mourir le lendemain de son mariage. Comme ça. Et même chose pour la suivante. Iris, l’avant-dernière, a quant à elle l’intention de survivre.

Mon avis

Est-ce que je vous ai dit que ça se passait dans les années 50? L’art de faire des résumés pouiches! Bref, toute cette histoire se déroule aux États-Unis à un moment où les femmes devaient se marier et se retrouvaient rapidement prises dans un engrenage d’où il était difficile de sortir. J’ai pour ma part choisi d’interpréter cette histoire comme une critique de la société de l’époque, en particulier sur la condition de la femme à ce moment.

Nous, comme lecteur, nous savons d’avance comment ça va finir. Mais peu importe, pourtant, Les soeurs Chapel n’ont que peu de moyens d’échapper à leur destin, à cette maison qui ne leur offre que peu d’issues. Les voix féminines ne sont pas entendues et ça donne le goût de hurler. Mais quelle atmosphère!  C’est envoûtant et j’ai dévoré ces 600 quelques pages passées avec Iris et ses 5 soeurs très différentes mais qui s’en vont toutes droit vers la tombe. C’est un peu fascinant au départ, puis terriblement angoissant. Elle savent pourtant! 

C’est donc pour moi une excellente lecture. C’est prenant, c’est bien écrit, j’ai aimé l’histoire de cette femme qui tente de se réinventer après les traumatismes de son enfance et de son adolescence. L’ambiance est pesante à souhaits, on étouffe dans cette maison, on a le goût de secouer tous ceux qui « veulent le bien » des femmes. Pour aimer, il faut accepter de ne pas tout comprendre, il faut laisser notre logique derrière et se laisser porter par cette histoire au rythme lent, mais dont les pages se tournent toutes seules. Du moins, c’est ce qui est arrivé dans mon cas.

Bref, excellente lecture.

L’allègement des vernis – Paul Saint Bris

Vous savez, pour me vendre un roman, c’est assez simple. Il y a quelques arguments béton. Et l’un d’entre eux est : c’est un livre qui parle d’art. C’est officiel, je vais me laisser convaincre. Et c’est ce qui est arrivé ici.

De quoi ça parle

Le Louvre, musée le plus célèbre du monde. Pas assez par contre au goût de la nouvelle directrice générale, Daphné, qui souhaite multiplier les revenus à l’aide de coups de marketing. La dernière idée en date? Restaurer la Joconde. Alléger ses vernis pour la faire un peu voyager dans le temps et être moins « verte ». Aurélien, conservateur ma foi très… conservateur, n’est pas certain du tout. Mais il trouvera tout de même LE restaurateur, l’italien Gaetano… et ils vont se lancer.

Mon avis

Voici donc un roman que je qualifierais de « agréable mais sans plus ». J’ai aimé parce que ça parlait de la Joconde et qu’il y avait des passages assez didactiques où on nous parlait de restauration, de techiques et de peinture. Vous savez, la partie qui a ennuyé presque tout le monde? C’est celle que j’ai appréciée. Je sais.

Nous sommes donc avec un homme vieillissant, conservateur sans l’ambition de monter dans l’organisation du musée. Il adore sa section, vénère l’art et n’est clairement pas enthousiaste quand la pétillante directrice du musée propose de rajeunir la Joconde. Mais il va suivre le courant. Et il va clairement angoisser sa vie. La restauration sera-t-elle réussie?

Ce n’est pas un roman particulièrement bien écrit mais ça passe tout de même car c’est divertissant. Ok, on voit tout venir. De loin, voire même de très loin. Et somme toute, la fin m’a plu. J’ai aimé la réflexion sur l’art, sur la multiplication des images, même si je ne suis pas toujours d’accord avec le propos. Toutefois, je peux comprendre que certains ne puissent pas suivre, n’en soient juste pas capables, et se confortent en restant dans le passé. Je croyais qu’on allait là, mais oui, mais non, mais pas tant?

Le début de ma lecture n’a pas été simple. La nouvelle direction du Louvre est dans le marketing. Tout est pensé pour augmenter les profits, toutes les stratégies sont bonnes. Je SAIS que les musées doivent faire des sous. Mais voir le Louvre sous cet éclairage, quand même, ce n’est pas hyper agréable. Laissez-moi mes illusions d’un monde de l’art qui vit d’amour, de beauté et d’eau fraîche! J’ai aimé également l’exploration des émotions suscitées par ce qui est beau et par l’art en général. Mais les réunions d’équipe truffées de mots en anglais? C’était grrrr! Et le pire, c’est que je suis certaine que c’est réaliste.

Cette chronique n’a ni queue ni tête. Ce qu’il y a à retenir? Pas mal mais ne pas s’attendre à une Expérience avec un grand E!

Au soir d’Alexandrie – Alaa el Aswany

J’ai « L’immeuble Yacoubian » de Alaa el Aswany depuis sa sortie. Oui, je sais. Ça fait 22 ans. Et c’est celui-ci, sorti il y a quelque semaines, que j’ai fini par lire en premier. Il ne faut pas se poser de questions.

De quoi ça parle

Alexandrie,fin de années 50. Dans le bar du restaurant Arthino se retrouvent une bande d’amis venant d’horizons différents, de pays différents. Ils sont épris de justice, de liberté, et aiment d’amour l’Alexandrie cosmopolite qui leur permet d’argumenter et de philosopher à leur guise. Ils sont d’ici, parfois d’ailleurs, ne sont pas toujours d’accord, notamment au sujet de Gamal Abdel Nasser, nouveau leader charismatique de l’Egypte. Mais ils sont épris d’Alexandrie, leur ville, qui bientôt commence à changer.

Mon avis

Mais pourquoi n’ai-je pas lu cet auteur avant? J’ai visité l’Egypte en 2019 et j’ai adoré voyager dans le temps pour visiter cette époque où l’élan révolutionnaire se transforme en autre chose, plus répressif. La fin d’une époque. Et c’est probablement cet aspect nostalgique qui m’a vraiment interpelée. Ça et le portrait très touchant de personnages très imparfaits qui vont voir petit à petit leurs illusions se frapper au mur du régime qui se durcit de plus en plus.

Nous sommes donc avec un groupe d’amis libres penseurs. Chantal est française et elle tient une librairie. Tony, est un idéaliste qui a tenu à construire son usine de chocolat en Egypte. Abbas est avocat et idéaliste tandis qu’Anas est artiste et aime rencontrer des inconnus pour les peindre. Ils croient en leur ville et à travers leurs yeux nous verrons différents aspects de l’Alexandrie qu’ils rêvent encore. À travers ce récit polyphonique, nous pouvons voir différentes façons de penser ainsi qu’une critique sociale de cette période tourmentée.

Non seulement nous rencontrons ces amis mais nous voyons aussi ceux qui y croient encore. Ceux qui voient Nasser et son socialisme la solution à tout, qui le vénèrent telle une icône ou un dieu. Galil y croit. Il y croit vraiment. Et même si son attitude fait frémir, on se surprend à le comprendre, cet homme qui souhaite que ce soit vrai. Bref, nous pouvons ici voir les facettes plus noires du nassérisme, qui est présenté comme un homme prêt à tout pour manipuler les gens et arriver à ses fins.

Si on met un moment à rencontrer tous ces personnages, j’ai pour ma part sauté à pieds joints dans cette aventure, dans cette ville bouillonnante et foisonante. C’est vivant, c’est émouvant, et ça donne envie de visiter cette Alexandrie en tons sépias. Bref, une très bonne lecture.

Badjens – Delphine Minoui

J’avais repéré ce titre par mi les nombreux romans de la rentrée littéraire car la révolte des iraniennes suite au meutre de Mahsa Amini m’avait beaucoup touchée. Un roman dans ce contexte ne pouvait donc que m’attirer.

De quoi ça parle

Zahra a 16 ans. Debout sur une benne à ordure, elle décide de brûler son foulard. Nous sommes en 2022 et les iraniennes font entendre leurs voix suite à la mort de Mahsa Amini. Qui est-elle?

Mon avis

Voici donc un roman qui peut faire polémique. J’ai lu quelque part qu’il s’agissait d’un ouvrage féministe blanc anti-voile. Je l’ai plutôt vu comme un roman féministe qui prone le droit des femmes à choisir ce qu’elles veulent faire de leurs corps, de leurs vêtements, de leurs vies alors que tout les en empêche. En Iran, le régime les en empêche et toute tentative de rébellion est fortement réprimée. L’autrice est née de père iranien et de mère française. Journaliste, elle a travaillé entre autres en Iran. Donc, voilà le contexte.

Nous somme donc avec une adolescente de 16 ans. À 16 ans, on veut être libre. On se révolte. Et c’est ce que fait notre jeune Zahra, dite Badjens. Mauvais genre. Il s’agit certes du voile qu’elle préférerait ne pas porter mais ce n’est que la pointe de l’iceberg. Elle en veut à la société d’invisibiliser les femmes. De les faire taire. De les cacher. De leur demander d’être vierges et pures et de les laisser se faire violer en fermant les yeux. Si elles parlent? C’est leur faute. Ce sont elles qui sont déshonorées. Entre Badjens et son petit frère, aucune équité. Il a tout. Elle n’a rien. Sa mère tente de lui rendre la vie plus douce mais comme elle, elle revêt un masque au quotidien. Elle ne dit rien mais n’en pense pas moins.

Ici, il s’agit de l’Islam. Par contre, entendons-nous, la plupart des grandes religions se sont entendues à un moment ou un autre de l’histoire pour traiter les femmes comme des carpettes. Il n’y a pas si longtemps, nos grands-mères arrêtaient l’école en 7e année pour s’occupée de leurs jeunes frères et soeurs et ainsi permettre aux garçons d’être éduqués, le tout sous le regard bienveillant de monsieur le curé. Non mais quand nous foutra-t-on la paix?

Ce roman n’est pas un bijou littéraire et stylistique mais le ton choisi concorde avec la protagoniste. Elle est jeune, en colère et scande ses revendications d’une voix forte. Elle s’indigne, va droit au but. Elle veut croire en ses rêves et au sens de ce qu’elle et ses amies font pour retrouver une voix, une vie. Nous ne sommes pas dans la nuance, sauf peut-être une fois, quand elle comprend même quand les combats sont différents à travers les années, les femmes devraient pouvoir choisir. C’est un texte fort, brut et sensible à la fois. Bref, j’ai beaucoup aimé, même si j’en aurais pris un peu plus longtemps.

Long Island (Eilis Lacey – 2) – Colm Toibin

J’ai adoré Brooklyn, lu il y a plus d’une décennie. Le personnage complexe d’Eilis Lacey m’avait beaucoup touchée et j’avais vraiment hâte de la retrouver vingt ans plus tard.

De quoi ça parle

Eilis et Tony, son bel italien, sont mariés depuix 20 ans. Ils habitent dans une allée près de toute la famille élagie de Tony et ont deux enfants. Sauf que Tony a peut-être pris au premier degré l’un de ses contrats de plombier et un jour, un homme somme à la porte d’Eilis. Sa femme est enceinte, le père est Tony et le jour de sa naissance, il compte bien le laisser sur le pas de sa porte. Eilis ne compte absolument pas élever l’enfant d’une autre mais il semblerait que sa belle-famille ait peut-être une autre idée en tête. Eilis va donc décider de changer d’air et retourner en Irlande pour les 80 ans de sa mère.

Mon avis

J’aurais aimé vous dire que cet opus est à la hauteur de Brooklyn. Je l’espérais vraiment. Toutefois, pour moi, ça n’a fonctionné qu’à moitié. J’ai été ravie de retrouver Eilis devenue adulte, qui doit « faire avec » sans non plus renoncer à son indépendance. Elle reste un personnage complexe, calme au dehors mais bouillonnante en dedans. Et pour ça, elle n’a pas vraiment changé et reste toujours pleine de contradictions.

J’ai beaucoup aimé la première partie. On y dissèque les relations familiales complexes, les non-dits, les petites manipulations et la misogynie de l’époque y a une bonne place. Et ça fait rager. Les mecs, et la belle-mère… OMG! Tout se passe en secret, même si tout le monde est au courant… bref, pas très sain comme atmosphère. On est dans l’époque, clairement. Eilis se trouve pratiquement à la merci de son mari et de sa belle-mère.

Puis, elle sacre son camp en Irlande (way to go girl) et à partir de ce moment, il y a tout de même des longueurs. Eilis y retrouve son ancienne meilleure amie Nancy, maintenant veuve, ainsi que Jim Morris, l’homme qu’elle avait fréquenté lors de son retour à la mort de sa soeur Rose. On pourrait s’attendre à une histoire d’amour de film Hallmark, sauf que non. Eilis est toujours mariée, ses problèmes n’ont pas disparu, et Jim a aussi des secrets.

Mon problème, c’est que tous les personnages sont détestables. Pas un pour rattraper l’autre. La mère d’Eilis est une vieille chipie, Jim ne se comprend pas, Nancy me plaisait bien, mais l’évolution… bof… J’avais hâte que ça finisse et d’un autre côté, aucune fin ne m’aurait vraiment plu. Et je ne crois pas que je suis satisfaite de la fin choisie. Je les reverrais bien 5 ans plus tard.

Une lecture en demi-teinte donc. Mais maintenant, j’ai envie de relire Brooklyn. Et de tenter Nora Webster, que nous croisons dans ce roman.

Le bastion des larmes – Abdellah Taïa

J’ai lu ce roman parce qu’il devait être dans une liste de prix littéraire quelconque. Des fois, je fais des fixations sur les listes. Êtes-vous surpris?

De quoi ça parle

Youssef est enseignant en France. Il est homosexuel, né au Maroc, et il doit revenir à Salé, sa ville natale, à la mort de sa mère, matriarche solide et ayant mené sa famille d’une main ferme. Là-bas, il va se souvenir. De ses soeurs et de Najib, qu’il croit avoir aimé.

Mon avis

Je n’ai jamais lu Abdellah Taïa. Quand j’ai lu ce roman, j’étais certaine que c’était un premier roman. C’est que nous sommes ici dans le retour aux sources, aux traumatismes originels. Ceci dit, ce n’est pas du tout le cas. Mais même si j’ai quelques petits bémols, j’ai globalement passé un très bon moment de lecture.

Je suis toujours partante pour les romans un peu nostalgiques, Et j’aime aussi les constructions un peu floues, qui nous baladent entre passé et présent, et parfois entre fantasme et réalité. C’est le cas ici, avec un homme qui revient dans la ville qui l’a vu grandir et qui revit son enfance et son adolescence dans un pays où être gay n’est pas bien vu. Ce qu’il a vécu, presque au vu et au su de tous sans que personne ne fasse quoi que ce soit, a influencé sa façon de considérer famille et passé.

Entendons-nous, on est dans le flou-mou, C’est un homme blessé qui nous parle du destin des hommes gays au Maroc, du poids des familles et des traditions et sur la nécessité, parfois, de partir pour survivre. Les soeurs sont presque un choeur antique, qui sont presque la voix de la bien-pensance, celle qui a occasionné la souffrance de Youssef. Au départ, leur traitement étonne tant il peut sembler misogyne mais je l’ai perçu comme le reflet de valeurs qui se sont imposées à elles, les jeunes filles vivantes ayant été laissées derrière parce que c’est ce qu’il faut faire.

Le style ne plaira pas à tout le monde mais pour ma part, il m’a beaucoup touchée, oscillant entre l’intime et le plus grand. C’est rempli de trigger warnings, ce qu’on a fait subir à Youssef est indicible alors qu’on le condamne parce que gay. Haram. J’ai beaucoup aimé le fantôme de Najib, qui a tenté tirer le meilleur de sa situation alors que les choix étaient limités ainsi que le lien entre les événements et l’histoire de la ville et du fameux bastion des larmes.

Bref, un bon moment de lecture. Floris n’a pour sa part pas du tout été convaincu.