Ok. Comment vais-je parler de ce roman. Je l’ai terminé depuis plusieurs jours déjà, et je sens que mon billet ne va rien dire du tout et va partir dans tous les sens. Comment expliquer que j’ai été emportée, que j’ai plongé dans cette exploration de l’âme humaine, tout en croyant sincèrement que ce n’est pas un roman qui va plaire à tout le monde, loin de là. Comment vous faire ressentir à quel point les personnages me hantent encore, avec leurs grandioses sentiments, leurs bassesses et leurs désillusions? Pas facile, tout ça. Surtout quand on a affaire à un roman virtuose et un peu fou, sur fond de critique de la bourgeoisie et de l’antisémitisme. Mais je vais quand même tenter le coup.
Quand on pense à Belle du Seigneur, on pense à l’amour passionné, irréel et fou de Solal et d’Ariane. Pourtant, ce n’est pas une romance. Et ce n’est pas non plus « que » ça. C’est également une critique sociale de la bourgeoisie ainsi que de la société qui ne pense qu’à « monter », une réflexion sur l’amour, certes, mais aussi sur la beauté, les apparences et sur l’antisémitisme. Ceux qui sont réellement calés en littérature me diront que cette description est fort réductrice, et je suis d’accord. On s’entend que je ne vais pas vous faire une analyse, hein! Il y a des gens qui font ça super bien… et je n’en fais pas partie. Je vais me contenter de vous parler de mon ressenti par rapport à cette lecture qui a été haute en émotions.
Autour d’Ariane et de Solal, qui ne se rencontrent d’ailleurs pas au début du roman, il y a toute une galerie de personnages secondaires pas nécessairement sympathiques mais hilarants. Ils m’ont par certains côtés rappelé certains aspects comiques de personnages secondaires de Dickens, vous voyez le genre? D’abord, Adrien Deume, mari d’Ariane et petit fonctionnaire imbu de lui-même, qui travaille (le mot est bien grand) sous la direction de Solal. Le « petit-Deume », comme il se nomme lui-même a comme ambition de monter dans l’échelle sociale, et il passe sa vie à calculer en fonction de ça. Ah oui, j’oubliais. Monter dans l’échelle du boulot… sans rien faire, of course! Sinon ce ne serait pas drôle. Mais ce qui EST drôle, dans tout ça, c’est qu’il a réellement l’impression de travailler dur et de MÉRITER les promotions et l’avancement. Et cet aspect précis l’empêche d’être vraiment unidimensionnel, tout en ayant le mérite de me faire rire. En effet, lire un long descriptif d’une journée d’Adrien Deume au bureau, où il est TRÈS occupé à ne rien faire (mais il est occupé hein… ça va vite, dans sa tête) a été pour moi jubilatoire. Et on ne parle même pas de sa mère, bourgeoise imbue de sa situation, hypocrite et dévouée à son fils qu’elle vénère, tout en maltraitant sa bonne, parce que bon, définitivement, elle n’est pas de son « miyeu ». La longue soirée où tous ces personnages attendent le grand homme à souper est pétante de vérité… et de drôlerie pathétique.
Quant à l’amour, l’amour fantasmé, cet amour passion qui ne permet rien d’autre, il m’a rappelé ces grandes amours adolescentes, où on veut le Grand, le Beau, les Moments avec Lui, le vénéré, l’aimé… mais où on ne se révèle pas vraiment, voire même pas du tout. Les deux amants vivent un rêve d’amour, une illusion d’amour, où ils s’ennuient bien vite, mais qui épuise à la longue. Ils ne se connaissent pas, ne savent pas qui ils sont eux-mêmes, tellement obnubilés à créer l’illusion parfaite, la perfection que – croient-ils – l’autre désire. Solal fascine le lecteur, qui tente de percer son mystère alors que le personnage découvre en même temps que nous qui il est, n’ayant pensé qu’à monter et à séduire jusqu’à maintenant. Ariane, quant à elle, vit dans un monde de rêves et d’illusions qui lui ont toujours semblé bien plus intéressants que le présent et la réalité, qu’elle refuse obstinément de regarder en face. Entendons-nous, elle n’offre pas un portrait bien réjouissant de la femme.
Cohen a définitivement une habileté folle à nous faire entrer dans la tête de tous ses personnages. On entend leurs accents, on les imagine, à travers leurs tâches quotidiennes, en train de nous faire ces longs monologues parfois enflammés. On suit leurs pensées vagabondes, on voit les autres à travers leurs yeux. Les discours internes d’Ariane sont délicieusement tangentiels au départ et le demeurent tout de même, bien qu’ils se centrent à un moment uniquement sur son amour, sa raison de vivre, sa définition d’elle-même en tant que Belle du Seigneur sans aller plus loin. Sans point, on voltige avec elle dans sa petite tête, passant d’une idée à l’autre, d’une réflexion à l’autre, en se demandant bien parfois comment on en est arrivés là. Les pensées de Solal sont plus difficiles à suivre, plus sombres aussi et on a besoin d’être bien accrochés pour s’y retrouver un tant soit peu. Par contre, j’ai adoré voir la vie par les yeux de Mariette, la bonne, plus pragmatique et un peu dépassée par tout ça. De plus, l’adultère au féminin, à l’époque, c’était très tabou, il faut se le dire. Vous pouvez donc vous imaginer comment c’est traité.
Je m’égare, je le sens.
Mais ça a été une claque littéraire. J’ai été éblouie par l’exercice de style, par la structure du roman. Bluffée, comme les français le disent si bien. Et une chance que j’ai eu mon amie Yueyin pour en jaser pendant ma lecture, sinon j’aurais explosé, je le sens. Un roman qui aura laissé ses marques.
Et… j’ai fini mon fashion klassiks! Bon. 7 ans plus tard. Mais quand même!