Doris Lessing est une auteure qui me laisse souvent sans voix. Une auteure que je dois lire en respirant de temps en temps. Et en réfléchissant. Parce que sincèrement, c’est tout une écrivaine. Avec des mots simples, elle crée un récit terriblement évocateur, où l’on est carrément transporté dans le tourbillon suffocant qui emporte Mary, le personnage principal.
Le roman commence brusquement, avec un avis dans un journal. Avis qui relate la mort de Mary, tuée par son serviteur Moses (probablement Moïse en français). Dès le départ, on sait que ça va mal finir. Et ensuite, on rencontre la même Mary, jeune célibataire en Rhodésie. Issue d’une famille plus que modeste, elle est parfaitement heureuse comme elle est. Jusqu’à ce qu’elle entende, par hasard, que c’est quand même étrange qu’à 30 ans, elle ne soit pas mariée. Une phrase. Une toute petite phrase, qui va déclencher l’action qui va suivre. Car Mary va se marier avec Dick, pauvre fermier du sud de la Rhodésie et qui, malgré sa bonne volonté et son amour de la terre, est limite incapable comme agriculteur.
En plus de nous raconter l’évolution de Mary, qui passe de l’hyperactivité à la dépression, en passant par toutes les étapes qui y mènent, l’auteur nous ouvre une fenêtre sur cette Afrique coloniale où un racisme profond était ancré dans les moeurs. Pour être accepté, il fallait adopter la manière de penser des blancs de la place. Des idées tellement ancrées qu’un blanc pauvre est une menace à leur société, puisqu’ils sont presque « du niveau des noirs ». Le mépris et la crainte des « natives » est palpable tout au long du roman. Toute leur façon de vivre, toute leurs croyances sont basées là-dessus. À part Charlie Slatter, riche fermier, voisin et « mentor auto-proclamé » de Dick, qui n’en a que pour l’argent et se fiche d’apauvrir son sol et sa femme, piquée au vif par le comportement de Mary, nous rencontrerons peu de membres de cette société fermée. En effet, l’isolement des Turner est presque total et l’auteur réussit à nous refléter les sentiments de chacun des personnages de façon surprenamment aigüe. La perte d’espoir progressive de Mary nous étouffe, même si elle n’est pas un personnage particulièrement attachant, avec son incapacité à supporter les noirs et son idéalisme enfantin du départ.
À mesure que la peur globale va devenir plus personnelle, l’histoire se déroule de la seule façon possible et le tout donne ce roman profondément dérangeant et déstabilisant, malgré le peu d’action en général. Y entrer, c’est prendre une grande bouffée de cette chaleur suffocante sous le toit de tôle. Le personnage de Dick serait inspiré du propre père de l’auteur, pauvre fermier en Rhodésie. Premier roman de Lessing, écrit à la fin des années 40, on y trouve déjà l’anticolonialisme qui caractérise certaines de ses oeuvres.
À lire.
Parce que bon, Lessing, elle avait vraiment du talent.
32 Commentaires
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Une auteure majeure à découvrir absolument ! elle a même écrit de la SF ! 🙂
Cathulu: Oui, j’ai lu ça dans sa bio! Je suis suuuuper curieuse!
Un premier roman qui a l’air réussit.
Alex: Plus que réussi. Étouffant à souhaits!
J’ai découvert lauteure avec ce nroman. Un énorme coup d coeur, une écriture terriblement évocatrice,une analyse psychologique très fine et un style tout simplement remarquable ! ! ! Depuis, j’ai aussi lu Victoria et les Staveney, très bien aussi dans un genre différent.
Choupynette: Pour l’écriture, je suis on ne peut plus d’accord. Quel talent, c’est fou. Et elle a vraiment le don pour disséquer ce qui se passe dans la tête des bestioles que nous sommes. J’avais lu Le carnet d’or, que j’avais admiré sans l’apprécier autant.
J’avais lu et beaucoup aimé ce roman ! Mais il y a un certain temps et je me dis que c’est un roman que je devrais relire 😉
Malice: Je pense qu’il supporterait fort bien la relecture, en effet!
Je ne connaissais même pas le nom de cette auteure ! Aurais-tu un roman en particulier à me conseiller pour découvrir son écriture ? Je suis vraiment curieuse pour le coup ^^
Morgana: Celui-ci est court et frappant à souhaits. Moi, je trouve qu’on peut fort bien commencer par celui-ci. Toutefois, je n’en ai pas lu taaaant que ça.
J’ai mon premier Doris Lessing qui attend sur mon bureau…
Mirontaine: Il faut tenter le coup… même si ce ne sont souvent pas des livres « faciles!
Je l’ai lu il y a longtemps, ainsi que plusieurs autres … j’aimais beaucoup ses histoires et son écriture. Elle fait partie des écrivains qu’il faudrait que je relise.
Aifelle: Relire, oui, en effet, je pense que ça supporterait bien. Tu conseillerais quoi, pour continuer ma découverte??
J’ia découvert Doris Lessing récemment avec ses « nouvelles africaines », que je te conseille et dans la foulée j’ai acheté celui ci, j’ai hâte !
Hélène: Ooooh, oui, ça, ça me tenterait bien. Je l’aime sur ce thème. J’avais aussi aimé cette partie dans Le carnet d’or.
Je vais t’étonner, je n’ai encore jamais lu Doris Lessing. Je sais que c’est une grosse lacune qu’il va me falloir combler. Par lequel me conseillerais-tu de commencer ?
Titine: Je me sens un peu mal de commencer parce que je n’ai VRAIMENT pas tout lu… mais celui-ci pourrait être un bon départ!
Je n’ai lu qu’un court roman de l’auteur mais que j’avais aimé. je me suis toujours dit que j’en lirai d’autres !
Bladelor: Tu avais lu quoi??
Je n’en ai lu qu’un de Doris Lessing et je partage ton sentiment sur son écriture.
Manu: C’est fou hein… Une telle puissance d’écriture, c’est extraordinaire.
Les grands-mères je crois… un roman très court et étrange mais qui m’avait plu.
Bladelor: Ah oui, j’en ai entendu parler… les avis étaient de tous côtés sur la blogo!
Les premiers, « le carnet d’or » bien sûr et la série « les enfants de la violence »
Aifelle; j’ai lu Le carnet d’or. J’ai beaucoup aimé certaines parties, d’autres me sont passées au dessus de la tête… mais je note pour le reste de la série!
Moi j’ai été totalement subjuguée par « Le carnet d’or » ! Et je suis impatiente de découvrir celui-ci…
Bluegrey: Je pense que le carnet d’or était tombé au mauvais moment. Je n’en savais pas assez ni sur le colonialisme ni le communisme.
j’ai envie de le lire depuis que Choup nous en a parlé mais je crois que je vais peut ête lire le carnet d’or avant 🙂
Yue: Your choice! Toi, les thèmes du carnet d’or devraient te parler. Tu as le background pour bien comprendre.
Je ne suis pas sure d’avoir envie de découvrir Doris Lessing avec ce roman… faudra voir !
Touloulou: C’est un roman très fort… mais j’ai l’impression que tout ce qu’elle écrit est fort et dur à la fois.