Ce roman ne peut laisser indifférent. Pour ma part, je suis plongée directement dedans et j’ai passé par toute la gamme des émotions à travers ma lecture. J’ai vu que plusieurs étaient passés à côté en raison de la présence fantômatique qui hante une grande partie du roman. C’est que dans cet univers, le surnaturel est omniprésent et les revenants prennent parfois la parole.
Ce roman se déroule sur quelques jours et nous raconte l’histoire d’une famille du Mississipi. de nos jours. Le Mississipi, c’est dans le Sud. Avec un grand S. Il suffit de regarder le drapeau de l’état pour comprendre que pour un homme blanc bourgeois et une femme noire pauvre, ce n’est pas gagné d’avance. Nous rencontrons donc les deux principaux narrateurs alors que nous apprenons que Michael, le père, est libéré de prison. La famille habite chez Pop et Mam, les grands-parents maternels car la famille de Michael n’a jamais digéré l’union de son fils et ne connaît pas ses petits enfants. Jojo a 13 ans, il s’est toujours occupé de sa petite soeur Kayla et ils ont une relation très proche, malgré les années de différences. De ses parents, il a appris à se passer. Lorsque le téléphone sonne, la grand-mère se meurt du cancer mais Leonie (la mère et la deuxième narratrice) embarque ses deux enfants dans la voiture pour un road trip de quelques jours pour aller récupérer le père… et faire quelques petites affaires en passant.
Jesmyn Ward a un réel talent pour nous faire ressentir l’atmosphère claustrophobique de cette voiture qui empeste et où rien ne va, entre une femme qui ne se sent pas mère, des enfants qui la ne la reconnaissent pas comme telle et une fillette malade. C’est oppressant, on a peur pour les personnages et on SAIT que ça ne peut pas bien aller. La prison où ils se dirigent est celle où Pop a été emprisonné des années auparavant et elle a été le siège d’une histoire dont ce dernier ne peut jamais raconter la fin.
Jojo est un bon garçon et le protecteur de sa petite soeur. Il a grandi trop vite et brûle d’une colère sourde contre sa mère qui prend systématiquement les mauvaises décisions, qui se fait passer elle-même ainsi que Michael avant ses enfants. Qui laisse faire. Il veut être droit comme son grand-père mais nous en savons assez peu sur lui à part ça et c’est le plus grand reproche que je ferais à ce roman que j’ai par ailleurs beaucoup, beaucoup aimé. Leonie nous fait enrager mais sa souffrance nous touche également. Elle n’est pas à la hauteur, elle le sait et a abandonné. Ils se sont abandonnés. Et comme lecteur, ça fait limite mal d’être témoin de ce combat tellement perdu d’avance que la bataille ne se livrera même pas.
J’ai adoré la plume de l’auteur, poétique même lors des moments les plus crus (et parfois dégueulasses), profondément ancrée, comme ces gens, dans la nature et les bayous qui les entourent. C’est un roman qu’il m’a fallu reposer à quelques reprises tellement les voix qui s’élèvent derrière l’histoire sont parfois difficiles à entendre. C’est qu’en arrière-plan, il y a le racisme, le mépris, et les voix de milliers de personnes mortes injustement dans cet endroit où plane encore l’ombre de l’esclavage. C’est l’histoire de gens pauvres mais dignes, des gens qui existent pour vrai, même aujourd’hui.
Bref, une réussite pour moi!