Hier, j’ai décidé sur un coup de tête qu’il fallait absooooolument que je lise Guerre et Paix. Là, maintenant, tout de suite. J’allais carrément mourir si je ne m’y mettais pas le soir même. Bon, pour la petite histoire, je n’ai pas pu m’y mettre, ayant plutôt été entraînée dans un tourbillon de cousins, cousines, mononcles et matantes, mais n’empêche qu’hier soir, le besoin était hyper intense. Voire viscéral.
J’ai donc décidé de tenter le diable et de passer rapido dans une petite librairie en sortant du boulot. Dans ma petite tête, c’était genre : « Bon, on va laisser parler le destin, s’ils ont Guerre et Paix en folio, les deux tomes, ça veut dire que je suis due pour les lire et qu’il FAUT que je les achète ». Quand j’arrive là, dans la section classique, il n’y a que l’édition Livre de poche. Pas que je n’aime pas Livre de poche. Mais imaginez-vous donc que les éditeurs ont eu l’idée étrange de faire deux tomes pas de la même grosseur… Pour la population « normale », c’est pas du tout grave. Pour une psychorigide livromaniaque comme moi, c’est l’impossibilité totale!
La section classique ne contenait pas Guerre et Paix… mais elle contenait une autre cliente. Une dame d’une petite quarantaine d’année, en shorts à la Tamara Drewe et camisole léopard, de taille « Lula fit ». Ceux qui ont lu Janet Evanovich auront tout de suite une image très claire. Ajoutons à ça que la dame (en jupette, je le rappelle) est à quatre par terre, le derrière en l’air, (et le string vert À l’air) et semble décidée à enlever tous les livres de la section un par un. Sans les replacer, bien entendu. Et en commentant à haute voir chacune de ses actions. La verbalisation parallèle à son top niveau. Sauf que bon, elle se parallélait toute seule, c’est le seul bug!
Dans ma quête, je ne perds quand même pas mon objectif devant la cliente-cocasse! J’en ai vu d’autres, moi, je suis une book-warrior! Je l’enjambe donc pour me diriger vers le libraire et demander si quelque part dans leur back store, ils n’auraient pas l’objet de mon désir pressant (pour rappel, c’est Guerre et paix, pas la dame!). Je pars pour ouvrir la bouche quand le phénomène (qui a maintenant troqué la position Numerobis-couvert-d’or dans Astérix pour celle d’un bouddha pas souple. Vue sur le string vert d’un autre angle) s’écrie, outrée :
– Heille, toé, j’étais là avant, t’as pas le droit de me voler ma place.
Ceux qui me connaissent le savent, tout me paraît dans la face. Et là, interloquée et surprise vu que le libraire est à l’autre bout de la librairie et qu’il est en train de classer les nouveaux arrivages, je m’excuse (moins par politesse que parce que je voulais voir ce qui allait se passer avec ce personnage digne d’un théâtre d’été) et je lui dis d’y aller, que je ne prendrai pas sa place.
Madame reprend la position 1 et commence à grogner.
– C’est pourri comme librairie ici, ya même pas Naruto.
Le pauvre vendeur réplique gentiment qu’elle ne trouvera probablement pas Naruto tome 48 dans les classiques. Ben oui, hein… Naruto , c’est pas nécessairement le même registre que Victor Hugo, Alexandre Dumas ou Dostoïevski. C’était la nouvelle du jour. Sauf que madame s’énerve.
– Stie que tu connais rien aux livres, câl*** de moron. Naruto c’est rendu un classique, t’as un manche à balai dans le c** coudon? Ya pas juste tes vieux cons qui font des classiques, Naruto, c’est the best pis si c’est pas capable de l’voir tout seul, c’est que t’es un tab*** de bonrien.
J’arrête là, mais elle a continué. Longtemps. Jusqu’à ce que le libraire – non mais quelle patience – aille lui chercher le dernier Naruto sorti, du moins, j’imagine. Et là, la voilà encore les baguette en l’air.
– C’EST UN FAUX!!!!!
Là, le libraire est visiblement pris au dépourvu. Non mais je suis ceeeertaine qu’il s’attendait à tout sauf à ça! Et moi je recule touuuut doucement parce que c’est un peu dur de ne pas rire et que je ne veux quand même pas qu’elle décide de s’en prendre à moi!
Notre madame se lance dans un exposé animé (et assez religieux, en fait, à en juger par tous les « mots sacrés » qu’elle utilise… ) sur le fait qu’elle est l’experte de Naruto et que c’est pas un libraire piochon qui va lui en passer à elle avec des faux Naruto, parce que le numéro 48 (du moins, je pense que c’est ce numéro-là… j’ai pas mon doctorat es Naruto, moi), IL EST PAS SORTI, et que c’est de la FRAUDE, rien de moins!
Soudain, elle s’interrompt. On se regarde, le libraire et moi, pensant que ce moment de calme était dû la fin du Naruto show… mais non! La dame, avec classe, se sent le dessous de bras et s’exclame de façon très sonore :
– J’ai chaud, câl***!!
Et sur ce, elle enlève son top.
Oui.
Comme ça.
Dans la librairie.
C’était peut-être un maillot, hein. J’ai pas vérifié de près. Mais si c’était le cas, il n’était pas du tout avec le fond de culotte qu’elle nous avait gentiment exposé quelques minutes avant. Et je rappelle que nous sommes dans une librairie.
– Bon, qu’est-ce que je disais moi??
Vous pouvez être certains que ni le libraire ni moi ne le lui avons rappelé! Alors que je m’enligne pour poser – finalement – ma question au libraire, même si elle est de dos, c’est à croire qu’elle a des yeux derrière la tête…
– J’AI PAS FINI!!!
Et la voilà qui se lance dans un discours – with details – visant à décrire les couvertures des romans de Bit Litt du rayon d’à côté. Vous voyez le genre de couverture. Je vous laisse donc imaginer la façon disons… imagée qu’elle avait d’expliquer le tout vu que, visiblement, elle croyait que nous n’avions pas d’yeux pour voir!!!
J’avoue que j’ai un peu peur, en fait… je suis seule avec une folle et un libraire dans un espace de quelques mètres carrés… Je fais donc la seule chose qui me semble logique… je décide de prendre mes jambes à mon coup, abandonnant l’idée de mon livre… mais discrètement. Je recule donc, me faisant mini mini comme une petite souris,
en espérant échapper à la harpie….
Il y a un « mais », bien entendu. Et ce « mais » prenait la forme d’un rayon entier de classiques étalé sur le plancher (gracieuseté de madame). Mon talon droit s’est pris dans un livre, j’ai voulu éviter de le briser (c’est un bouquin, tout de même… on ne brise pas les livres!!) mais j’ai perdu l’équilibre et j’ai essayé de me rattraper sur ce que je pouvais… ce qui était une petite table. Avec des livres posés dessus, bien entendu. Nous sommes dans une librairie. Sauf que je suis plus lourde qu’une table et que celle-ci m’a suivie dans mon vol plané et que nous avons, la table et moi, toutes les deux atterri sur le plancher, sous une avalanche de livres.
Même la madame en a eu le sifflet coupé. Moi aussi d’ailleurs. Mais bon, je m’auto-décourage souvent… c’est pas comme si c’était inhabituel…
J’ouvre les yeux, je bouge chacun de mes membres pour vérifier qu’il n’y a rien de cassé et que vois-je, posé doucement sur mes cuisses???
GUERRE ET PAIX EN FOLIO!!! Ils en avaient un stock, sur cette table, justement!
Du coup, je suis tellement contente que j’oublie que je viens presque de démolir la librairie! Je me remets sur mes pattes et je vois le libraire accourir.
– Non, non, non, non, surtout, laissez faire, madame, je vais tout ranger.
Et il me pousse à deux mains vers la caisse alors que je tiens mes deux bouquins en souriant béatement et que la dame crie à pleins poumons .
– J’AVAIS PAS FINI!!!!
Je paie mes bouquins en écoutant hurler derrière moi qu’elle, on ne la traitera pas comme ça, qu’elle est une cliente fidèle et qu’elle vient souvent ici (!!!! Poor, poor guy) et qu’elle achète au moins 2 livres par mois et que même qu’elle les lit, en plus.
Et avant de partir, le libraire, me regarde tristement et dit tout bas…
– Le pire… c’est que c’est vrai.
Pauvre libraire!!!