Les pénitences – Alex Viens

Je n’ai aucune idée du moment où j’ai pu acheter ce roman. Peut-être au salon du livre de Québec… mais les derniers mois ayant été mouvementés, j’ai oublié certains détails que, normalement, je n’aurais jamais oubliés. Ouais, je suis du genre à pouvoir vous dire que tel ou tel roman, je l’ai acheté à tel endroit, avec telle personne, voire même comment j’avais auto-justifié mon achat. Bref, passons.

De quoi ça parle

Jules rend visite à son père, Denis, vieux punk (que je qualifierais tout autrement) avec qui elle n’a eu aucun contact depuis 10 ans. Elle doit lui apporter une petite boîte et si ces retrouvailles ne commencent pas trop mal, la tension va monter dans un huis-clos anxiogène.

Mon avis

Ce court roman n’est pas un roman qu’on « aime ». Il met profondément mal à l’aise, c’est glauque, c’est malsain et il nous fait presque suffoquer par moments. Dès l’entrée en matière, à l’arrivée de Jules chez son père, on ressent le poids du passé. On comprend que les relations ne sont pas égalitaires et que ça risque de déraper. Et pour déraper, ça dérape.

Le vieux tabarnaque!

On comprend graduellement la nature de la relation entre la fille et son père, faite de brimades, de culpabilité, de manipulation mais aussi d’un terrible besoin de plaire et d’être aimée. Tout au long de la rencontre, l’angoisse monte et les petites choses étrange du début prennent une toute autre ampleur (les c… de pâtes!). La violence psychologique du huis-clos est terrible, presque trop pour moi par moments. C’est tellement loin de mon univers, autant par le lexique que par la façon d’agir du père… Et dire que ça existe! Je suis sortie du roman avec un profond malaise. En fait, c’est réussi parce que c’est clairement ce que l’auteurice tente de faire ressentir. Ce sentiment de perte de contrôle, d’imprévisibilité nous donne l’impression d’être une proie aux aguets et imaginer ce qu’a pu être l’enfance de Jules alors qu’elle ne savait jamais à quelles réactions s’attendre… je n’ose même pas.

J’ai particulièrement aimé le contraste entre les dialogues, très crus, vulgaires, remplis de ces mots qui veulent dire tout est n’importe quoi, et certains passages remarquablement travaillés, qui font justement l’éloge des mots qui donnent du pouvoir. On sent que cette façon de faire a été réfléchie pour bien réfléter certaines réalités. Bref, une voix à suivre car il y a un vrai souffle dans ce récit.

Vespertine – Margaret Rogerson

Voici donc ma première lecture pour le Pumpkin Autumn Challenge 2022. J’avais repéré ce roman en anglais parce que dès qu’il est question de nonnes combattantes, I’m all in, la trilogie de Mark Lawrence en étant un exemple, dans un registre plus adulte. Il ne faut pas chercher plus loin, ni tenter de comprendre, je pense!

De quoi ça parle

Artimisia est en voie de devenir une soeur grise, l’une de celles chargées de purifier les corps afin que leur âme se libère et ne reviennent pas sous forme d’esprits pour s’en prendre aux vivants. Ayant été possédée en bas âge, Artimisia fait peur et préfère largement la compagnie des morts à celle des vivants. Quand le couvent est pris d’assaut par une armée possédée, elle va se retrouver bien malgré elle au coeur de la bataille, avec en prime un esprit du 5e ordre qui n’a aucune envie de retourner dans sa relique.

Mon avis

Non mais j’ai donc ben aimé ça! Je pense que ce roman, c’était exactement ce dont j’avais besoin au moment précis où je l’ai lu. Une histoire. Juste une histoire. Certes, il y a des discussions sous-jacentes mais ce n’est pas un roman qui défend une cause. Mais c’est toute une aventure par contre! Un univers fantasy intéressant, des esprits qui peuvent posséder certains humains, des nonnes et surtout un Revenant souvent hilarant, qui se retrouve pris à collaborer avec une de ces humaines, espèce qui l’a enfermé dans une relique pendant des centaines d’années. J’ai adoré les échanges entre Artimisia, qui n’a aucune idée de ce qu’elle fait, et le Revenant, qui se positionne comme un collaborateur/professeur récalcitrant en face d’une élève à qui il manque ma foi quelques bases. Pas qu’il ait le choix.

On découvre l’univers petit à petit, par le biais d’une jeune fille qui n’a vu du monde qu’un enclos et un couvent. Elle n’a suscité presque uniquement des réactions négatives de la part des autres et a assez peu d’espoir en général quant à son avenir. Le fait qu’elle n’a pas beaucoup d’insctinct de self-preservation peut donc facilement s’expliquer, de même que son anxiété sociale. Elle ne sait pas comment agir avec les gens et a tellement été rejetée souvent qu’elle a cessé d’essayer, ce qui la rend assez froide, mais elle m’a tout de même beaucoup plu. Les personnages secondaires se révèlent aussi petit à petit… bref, j’ai aimé. Le tome se tient en lui-même mais il y a encore pas mal de choses à résoudre dont THE question! La mythologie est chouette et ouvre des questionnements à mesure que le récit avance.

L’autrice a réussi à créer une ambiance glauque et fascinante à la fois. J’ai trouvé très efficace le mélange d’action et de descriptions et je ne me suis pas ennuyée une seconde. J’ai beaucoup apprécié le fait que l’héroïne sache parfaitement qu’en fait, elle n’a pas grand chose à voir avec tout ce qui lui est attribué et j’ai bien aimé le fait qu’il n’y ait pas une romance sortie de nulle part après 9 minutes et quart, en plein milieu d’une guerre! L’écriture est très visuelle et j’ai été complètement immergée dans cet univers.

Et ça, ça faisait longtemps.

Donc, une très belle surprise pour moi. Et si suite il y a, je la lirai certainement, même si je suis tout de même satisfaite de la finale et des portes qui restent ouvertes!

Femme forêt – Anaïs Barbeau-Lavalette

Je ne sais pas ce qu’il y a dans la plume d’Anaïs Barbeau-Lavalette, mais elle pourrait me parler de son récent passage à l’épicerie et j’adorerais, je pense. Un roman du confinement, dans une forêt, ce n’était pas gagné. Et pourtant, pourtant… je n’ai pas pu le lâcher.

De quoi ça parle

Ils sont quatre adultes et 5 enfants, dans une maison centenaire dans ce qui semble être les Cantons de l’Est. Ils n’ont pas de réseau, font des voyages aux 2 semaines à l’épicerie, il y a des nids de souris dans le piano et des couleuvres dans le salon. À l’intérieur des murs et des coeurs, ce n’est pas toujours facile. L’autrice s’ouvre donc à ce qu’il y a au dehors, au vivant, sous toutes ses formes.

Mon avis

J’ai toujours du mal à parler de ce qui me plait tant chez cette autrice. Sa plume, sa façon de dire les choses, de rendre beau les petits moments et les grands drames du quotidien sans pour autant tomber dans le niais… il y a pour moi quelque chose d’intemporel, qui fait son chemin en moi. J’avais prévu de lire quelques pages et finalement, je ne voulais pas sortir de cette atmosphère et je n’ai pas pu le lâcher. Tout ça même si, au fond, il y a très peu de fil conducteur, même si ces réflexions au fil du temps ne nous mènent pas vraiment à un endroit précis. On se laisse porter dans ce que nous savons être une parenthèse dans la vie de l’autrice.

Nous avons ici une véritable ode au vivant en général, à la nature et au cycle de la vie. C’est redécouvrir le dehors quand l’intérieur étouffe. C’est revenir à petite échelle quand tout s’écroule autour de nous. Certes, on est en pandémie, on la sent par certaines phrases mais ce n’est un roman « sur » la pandémie. C’est un texte sur le beau, sur l’intime, sur la naïveté et l’émerveillement de l’enfance. On s’émeut de toutes les phases de la vie mais aussi sur sa fin et sur ce qui la précède. C’est triste par moments, on se rappelle de moments difficiles mais c’est surtout très beau, très riche, très humain. Le contact avec le vivant, quelqu’il soit, réconforte, que ce soit par l’observation d’un oiseau ou par un calin de dos. Dans ces moments d’isolement « ensemble », on va à la rencontre de l’autre, de leurs histoires et de leur quotidien.

Encore une fois, la filiation est au centre du roman d’Anaïs Barbeau-Lavalette. On retrouve encore une fois sa famille, ses presque-grands-mères ainsi que ses parents, avec cette réflexion sur le trauma intergénérationnel, la liberté, mais la liberté tout étant celle qui reste.

J’ai noté des dizaines de phrases, provenant autant de l’autrice ainsi que des références, parfaitement choisies… j’avais l’impression de lire tout plein de petits poèmes. Inutile de préciser que j’ai très hâte de lire sa prochaine sortie.

La cité oblique – Ariane Gélinas/Christian Quesnel

Je ne résiste jamais à Lovecraft et à l’univers de Cthulhu. Oui, je sais, l’auteur était raciste et xénophobe mais je l’ai lu enfant et la petite fille que j’étais n’a pas du tout interprété ses monstres comme étant une allégorie de tout ce qui est « autre ». Du coup, je reste attachée à cet univers et cette esthétique, même si je lis différemment maintenant.

De quoi ça parle

Quant à cette oeuvre en particulier, elle est basée sur sur des récits de voyage – très factuels, je suis allée vérifier- de Lovecraft à Québec dans les années 30. Les auteurs ont choisi de réinsérer ces écrits, ainsi que l’histoire du Québec, dans le Lovecraftverse. L’Histoire écrite par ceux-qui-savent, quoi!

Mon avis

Cette BD est une oeuvre d’art. En plus de vibrer pour l’univers, je suis fan du travail de Quesnel à l’aquarelle qui donne à ce roman graphique un aspect mystérieux, fantasmagorique. J’ai aimé le mélange des époques, les touches de fantastiques, les références à la pop culture de la fin du 20e (Jason, je pense à toi). L’aspect coulissé de l’aquarelle ajoute encore une petite touche de mystère, de glissement vers ce monde d’en dessous. Chaque planche est remplie de détails et je me suis prise à les admirer de longues minutes. Le texte d’Ariane Gélinas, à la fois poétique et Lovecraftien (les noms… j’ai souvent éclaté de rire), complète parfaitement les illustrations, insérant parfois l’auteur et sa vision du monde.

J’ai beaucoup aimé ici le traitement de l’autre et des monstres qui ne sont pas foncièrement méchants malgré leur aspect. Le parti pris est un beau pied-de-nez aux idées rétrogrades (même pour l’époque) de l’auteur. Ici, on voit les premières nations, les vikings, l’arrivée des Français, jusqu’à la conquête. On croise plusieurs personnages historiques et le côté fantastique de ceux-ci pourra être une bonne introduction à l’Histoire. C’est que ça accroche l’imaginaire et que le côté légendaire, plus grand que nature, est parfaitement réussi!

Bref, un album virtuose, déjanté, éclaté, et une excellente lecture. Réécrire Lovecraft à la sauce Lovecraft, il fallait oser!

Les impatientes – Djaïli Amadou Amal

Si c’est d’abord la couverture, cette femme floue qui tente de regarder vers l’avant, qui m’a attirée, j’ai fini par écouter ce roman en audio car je suis tombée dessus à la bibliothèque. J’en avais un peu entendu parler, je savais que l’autrice était une féministe camerounaise… et c’est à peu près ça. Cette écoute a donc été une bonne surprise pour moi.

De quoi ça parle

Cameroun, région du Sahel. Trois femmes s’entrecroisent. Deux d’entre elles s’apprêtent à se marier, de passer de possession paternelle à possession du mari. Une autre voit son quotidien changer avec l’arrivée d’une nouvelle personne dans sa vie. Ramla, Hindou et Safira tenteront de faire entendre leurs voix dans ce monde où elles ont si peu de place.

Mon avis

Certains ont reproché à ce roman de ne pas offrir de vrai arc narratif, de ne faire qu’explorer le sujet. Je ne suis pas d’accord. Certes, il aurait pu, mais il aurait été autre chose. J’ai eu l’impression de trois fenêtres entrouvertes pendant un moment, fenêtres qui se referment par la suite sur ce qui est le quotidien de ces femmes. Ici, pas de miracle. Les filles font ce que disent leurs pères, puis leurs maris. Mounyal. Patience. Quand on t’impose une volonté. Quand on te reproche tout. Quand on te bat. Qu’on te viole. Patience. Patience.

Pour moi, c’était assez. Suffisant. Je ne sais pas si j’aurais pu en prendre davantage de toute façon. Le roman s’ouvre sur les discours qui sont faits aux filles lors de leur mariage et c’est effarant pour l’occidentale que je suis. Je ne suis pas là pour juger une culture qui m’est inconnue mais l’autrice a grandi dans cet environnement et le portrait qu’elle en fait frappe fort. Vers qui se tourner quand on perd pied? Quand la famille se fait complice? Les filles sont toujours fautives. Toujours. Même quand clairement, ce sont les hommes qui déconnent. C’est parfois d’une violence inouïe.

Ce qui lie ces femmes? La révolte, le désir de fuite, chacune à leur manière, avec un succès tout relatif. Chaque petit pas compte : apprendre à lire, à conduire, vouloir étudier, oser parfois parler, questionner. Parfois l’espoir pointe. Un frère qui se révolte, une réflexion qui fait du bien, certaines idées sur la condition féminine qui pointent le bout de leur nez.

Un texte qui touche, qui fait mal sans pour autant tomber dans le misérabilisme et qui nous fait entrevoir la vie derrière ces concessions fermées, dans ces familles polygames. Quand on n’y connaît rien, c’était assez. Je ne sais pas si j’aurais pu en prendre davantage. Toutefois, je me souviendrai de cette litanie, mounyal, mounyal…

Les 4 enquêtrices de la supérette Gwangseon – Gunwoo Jeon

Clairement, je n’aime pas du tout la couverture. Je ne l’aurais JAMAIS lu si ça n’avait été du challenge Lisons l’Asie d’Eva pendant lequel ont fleuri plusieurs avis positifs. J’ai donc tenté le coup et c’était ma foi une bonne lecture, même si je ne suis pas non plus tombée en bas de ma chaise.

De quoi ça parle

Nous sommes en Corée et dans une petite supérette de quartier se rencontrent 4 femmes, toutes dotées de gros machos finis en guise de maris. Quand un exhibitionniste commence à sévir dans leur résidence, elles décident de lancer à sa poursuite afin de récupérer la prime, argente qui permettrait à l’une d’elle de divorcer. Le seul problème pour nos Sherlockettes en herbe, un serial killer – rien de moins – réapparaît au même moment.

Mon avis

Je croyais avoir affaire à un cosy mystery humoristique en choisissant ce roman. Un genre de Stephanie Plum, mais à la sauce coréenne. Oui… mais non. Il y a des aspects humoristiques à ces femmes qui font un peu n’importe quoi dans leur enquête mais ce n’est pas vraiment cosy et ce sont surtout des thèmes féministes qui sont abordés.

J’ai eu un peu de mal avec l’écriture au départ, peut-être en raison de la traduction. C’est d’ailleurs ce que j’ai le moins aimé dans le roman, la plume. Toutefois, cette incursion dans une résidence coréenne, assez dépaysante, m’a fait passer un bon moment de lecture. Divertissant, glauque par moments, je retiendrai surtout les références à Sherlock (ces imperméables par 40 degrés!) et l’amitié qui unit ces femmes qui n’y connaissent rien mais qui, ensemble, peuvent faire de grandes choses.

Dès le début, on retrouve l’une d’elle chez le psychiatre. On sait qu’elle se cherche et que sa vie ne la satisfait pas et que la section des enquêtrices mères au foyer comble un vide dans son quotidien. Et bon, il faut l’avouer, le petit exhibitionniste (petit dans tous les sens du terme) gentiment surnommé « boules de mulot », il n’a pas l’air bien dangereux. Il y a un humour décalé, les situations sont parfois grand n’importe quoi (je cherche un mot et je ne le trouve pas… et j’ai décidé d’abandonner la dite recherche) mais elles deviennent de plus en plus dangereuses à mesure que le récit avance.

Un bon moment de lecture, divertissante et tout. Je n’ai pas ri aux éclats, je ne vais porter le roman aux nues mais je relirais une autre aventure de ces femmes avec plaisir.

Les enfants de Minuit – Salman Rushdie

J’ai commencé ce roman la veille de l’attentat contre Rushdie. Je l’avais prévu pour Lisons l’Asie et j’ai été catastrophée lorsque l’auteur a été attaqué sur scène, fort probablement pour faire suite à la fatwa prononcée en 1989 par l’ayatollah Khomeini. Inutile de préciser que de terminer ce roman était devenu un devoir moral dans ma petite tête de fille fatiguée. Et j’ai bien fait car c’est clairement un roman 5 étoiles et un futur classique pour moi. Rien de moins.

De quoi ça parle

15 août 1947, minuit sonnant. Au même instant où l’indépendance de l’Inde est prononcée nait le héros de cette histoire, Saleem Sinai. Enfant prophétisé (un nez et des genoux!) dont le destin picaresque est intimement lié à l’histoire de l’Inde et à ses rebondissements.

Comme tous les autres « Enfants de minuit », Saleem a des pouvoirs magiques. Il raconte sa vie alors qu’il la sent se fissurer, tentant de comprendre qui il est dans cette Inde multiple qui se cherche.

Mon avis

Je l’ai dit d’entrée de jeu, entre ce roman et moi, ça a passé. Il contient tout ce que j’aime : un côté plus grand que nature, des personnages hauts en couleurs, du réalisme magique, des images fortes et un lien avec l’Histoire avec un grand H. Une histoire que, je le réalise, je ne connaissais que fort peu. J’ai peut-être vu le film « Gandhi » à sa sortie (j’avais un gros 6 ans… inutile d’expliquer que je n’ai RIEN compris aux enjeux) mais de toute l’aventure post-coloniale de l’Inde, avec la partition Inde-Pakistan-Bangladesh, je n’avais saisi que des bribes. Du coup, ce côté était fas-ci-nant.

L’Inde, pour moi, est un pays de mystères, fait de grands écarts et de diversités multiples. Cette métaphore est très bien imagée avec les fameux Enfants de minuit aux langues, richesses, castes, opinions politiques et religions différentes. Bien qu’en arrière-plan, on les sent grandir, s’intégrer au vrai monde, et j’ai trouvé l’histoire de Saleem le grand optimiste tellement parlante de ce qui a dû se passer dans ce pays. Tellement d’espoirs, tellement d’enthousiasme qui se fracassent souvent sur une réalité trop imparfaite, politique et corrompue.

Mais ce qui fait le petit plus… cette écriture! Cette imagination! Le réalisme magique fait partie intégrante du récit et s’y intègre parfaitement. Rien de scolaire dans cette narration. La voix du narrateur qui se cherche, qui se perd parfois, qui tente de s’y retrouver et de comprendre, de distinguer les faits des perceptions et de personnifier cette Inde fantasmée et réelle à la fois… c’est fabuleux. Existe-t-elle vraiment? Qu’est-ce qui l’unit? Le roman, écrit en 1981, n’a pas le recul que nous avons aujourd’hui mais il est d’autant plus fort. Certaines scènes sont inoubliables et certaines images sont profondément ancrées en moi.

Bref, coup de coeur pour moi que ce roman. Il fera désormais partie de mes incontournables.

Les reflets du monde – En lutte – Fabien Toulmé

Comme j’aime beaucoup le regard que porte Fabien Toulmé sur le monde, j’ai été ravie de recevoir cette bande dessinée en plein pour la reprise des BDs de la semaine. Yep, ya un délai dans les parutions au Québec… faut suivre! Cette année, Fanny de Pages Versicolores devient hôtesse et c’est elle qui nous accueille aujourd’hui sur son blog pour recencer les billets BD de la semaine!

De quoi ça parle

Fabien Toulmé a souhaité explorer ce dont sont fait les luttes sur la planète, ainsi que les gens qui les mènent. À travers trois reportages, il va rencontrer des humains qui sont prêts à s’impliquer et qui veulent changer ou garder quelque chose, pour eux et pour la communauté. Ainsi, il explorera la révolution populaire libanaise, la thawra, la lutte d’une communauté brésilienne pour conserver son milieu de vie ainsi que l’engagement d’une militante et activiste pour l’éducation sexuelle au Bénin.

Mon avis

Tel que mentionné en ouverture, Fabien Toulmé m’a rarement déçue. Il a une façon de se pencher sur le monde et de vraiment chercher à comprendre les motivations des gens sans les juger qui me plait bien. Ici, le ton est donné, nous sommes clairement dans la non-fiction et nous avons trois reportages distincts, dans trois pays du monde, avec un fil rouge sociologique : qu’est-ce qui fait que les gens décident de lutter? Pourquoi maintenant? Pourquoi eux? Pourquoi les femmes, surtout. Ce sera donc trois femmes que nous suivrons surtout à travers cette BD. Trois femmes prêtes à se battre pour une cause et à prendre des risques.

Pour ces BD au ton journalistique, Toulmé est allé sur place et est allé voir les gens, ceux qui sont à l’avant-plan dans ces combats. Au Liban, il verra se dérouler quelques événements de la rebellion de 2019, alors que les gens sont sortis dans les rues lors de l’imposition d’une taxe-whatsapp. Banal? Peut-être. Mais c’était la goutte d’eau. Celle qui a permis au peuple de réaliser que certaines choses n’étaient pas normales, que le gouvernement manquait à son devoir pour la base. C’est une incursion bien courte au Liban, trop pour bien comprendre tous les enjeux mais Toulmé fait ressortir le côté solidaire de ces soulèvements, qui semblaient presque transcender l’appartenance religieuse à ce moment. L’auteur fait ressortir les côtés profondément humains de la révolte et nous aurait fait souhaiter que ça évolue autrement… mais je ne veux pas tout dire.

La seconde partie, c’est l’histoire des temps modernes : la gentrification et l’expulsion des communautés plus pauvres pour « assainir » les villes. Ici, une petite communauté brésilienne (un genre de favela) souhaite éviter la démolition de son milieu de vie (tiens… bizarrement, ça me parle) et cherche à trouver une solution, une vraie, qui pourrait satisfaire tout le monde et leur permettre de rester dans leur quartier. J’ai beaucoup aimé rencontrer ces gens dans ces pages. Ils ne se contentent pas de dire « non », ils se mobilisent et tentent de travailler ensemble pour mettre leur culture en lumière. Ce qui est particulier? Que des femmes.

Finalement, on se transporte au Bénin, où la femme est parfois la propriété de sa famille ou de son mari. Il m’est clairement venu des échos des Impatientes, fini il y a quelques jours, mais ici, la fenêtre d’espoir s’ouvre un peu plus grand. Chancelline a été marquée par les grossesses adolescentes de ses amies et va tenter de comprendre et de prévenir la situation, ce qui va passer par l’éducation sexuelle mais qui va aussi remettre en question plusieurs éléments culturels et plusieurs habitudes. Certains croient qu’elle détruit la culture de l’Afrique avec ses histoires de droits des femmes et la question se pose : comment protéger une culture sans que des gens en deviennent des souffre-douleur et voient leurs droits bafoués.

Une BD très intéressantes, avec quelques incursions d’un sociologue pour nous aider à faire des liens. Ça fait réfléchir sur la notion de lutte et de révolte et sur la façon de la voir dépendant de notre regard et de notre point de vue. Bref, j’ai appris. Et quand j’apprends, généralement, je suis contente!

C’était ma BD de la semaine!

Tous les billets chez Fanny cette semaine!

La papeterie Tsubaki – Ito Ogawa

C’est encore dans le cadre du challenge Lisons l’Asie que j’ai découvert cette autrice et la première chose que je me suis dite, c’est « Yueyin adorerait le côté écriture ». Et vous savez-quoi? Yueyin a adoré le côté écriture… et moi aussi!

De quoi ça parle

Hakoto a maintenant 25 ans et la voici de retour dans la région de Kamakura où elle a été élevée par une grand-mère stricte qui lui a enseigné non seulement l’art de la calligraphie mais aussi celui d’écrivain public, celui d’écrire pour les autres. À travers lettres, choix de crayons et de papiers, peut-être réussira-t-elle à mieux comprendre comment elle en est arrivée là.

Mon avis

Je suis et j’ai toujour été fan des romans japonais qui se passent aujourd’hui mais qui restent un peu hors du monde et du temps, entre modernité et traditions. Ici, on pourrait se croire au siècle dernier si on ne voyait surgir Costco ou un portable de temps en temps tellement nous sommes dans un moment calme, où le tout s’écoule dans la douceur et la grâce. Ici, pas de retournement de situation de folie mais un chemin intérieur, vertical, qui amènera la protagoniste à jeter un autre regard sur son enfance et sur sa relation avec une grand-mère exigente.

Ce qui passionne ici, c’est le rapport à l’écriture, à toute la délicatesse et le soin que ça implique. Comment faire passer un message, comment bien faire ressortir les sentiments, les intentions, les particularités de la relation à travers le choix de papier, d’encre, de plume ou de disposition sur la feuille… c’est fascinant. Fas-ci-nant. Lors des rencontres avec ses clients vont se nouer des relations plus ou moins éphémères, on nous ouvre une porte sur une personne et ces réflexions vont permettre à Hakoto de se réinstaller dans la papeterie, dans sa région, entre thés, nourriture japonaises, temples et balades dans la nature.

La plume est délicate, l’atmosphère est contemplative, ça donne faim et ça donne envie d’aller au Japon, mais dans ce Japon-là, celui des histoires, des thés entre voisines, des plumes et des bâtons d’encre à diluer. Une réussite pour moi!

Au revoir là-haut – Pierre Lemaître

C’est avec presque 10 ans de retard que je me plonge dans ce roman de Pierre Lemaître. Je savais que ça parlait de la guerre, que c’était le premier tome d’un « genre de trilogie » et ça s’arrêtait pas mal-là. Je l’ai finalement écouté par petits bouts, en audio, et même si ça a été loooooong (ceux qui connaissent mon été en connaissent la raison), j’ai passé un très bon moment d’écoute avec ces personnages fantasques et hors-norme.

De quoi ça parle

Novembre 1918. La guerre touche à sa fin mais les poilus ne savent que plus ou moins où ils se situent dans tout ça. C’est tout près de l’armistice que le lieutement d’Aulnay-Pradelle décide de lancer une attaque qui servira à son propre honneur, celle de la cote 103. De ce moment découle l’histoire d’Albert Maillard, soldat de milieu modeste et d’Édouard Péricourt, artiste flamboyant issu d’un milieu aisé devenu gueule cassée. Après la guerre, ils cherchent à trouver leur place dans ce monde dans lequel ils ne se reconnaissent plus.

Mon avis

Je n’avais étrangement aucune attente par rapport à ce roman. Dix ans plus tard, j’en avais entendu de toutes les couleurs et je m’attendais donc à quelque chose de « moyen », un peu dans le genre de ce que j’ai lu de lui (Le serpent majuscule). Par contre, bonne surprise ici, j’ai passé un très bon moment non seulement de divertissement mais j’ai peu entrevoir certaines réalités sur la 1e grande guerre dont je n’avais pas pris la mesure jusqu’alors. Call me néophyte.

Le roman s’ouvre sur une scène au front qui fait… réagir. Du moins, elle m’a fait réagir pour ne pas dire enrager. On se prend de détestation pour Henri d’Aulnay-Pradelle et c’est cette haine qui m’a portée tout au long du roman. Tout ce qui pouvait lui faire du tort me plaisait, même les magouilles complètement immorales et délirantes. Ceux qui ont lu savent. Chaque personnage est un peu beaucoup spécial (sauf peut-être Albert Maillard) aucun n’est toujours aimable et ils ont tendance à faire un peu n’importe quoi mais je me suis tout de même attachée à eux et à leurs malheurs. Que fait-on après la guerre quand tout le monde n’en a que pour les morts et se fiche des vivants?

Car c’est ce qui arrive à plusieurs anciens combattants. Éclopés, traités n’importe comment, ils voient leurs amis morts glorifiés mais pour eux, c’est plus compliqué. Comment se trouver une place quand personne ne veut de nous? Et c’est un peu de cette époque d’après-guerre qu’on nous parle dans ce roman. On nous parle du commerce de la guerre, des profiteurs et de ceux qui écopent à travers ces histoires de soldats ainsi que de la famille de l’un d’eux. Ça nous tient en haleine, on veut savoir ce qui va arriver à ces gens, même quand, souvent, ils ont pris des décisions complètement folles. J’adore Édouars et sa flamboyance et les discussions entre Madeleine et son mari… jubilatoire pour moi!

Nous avons ici une écriture accessible, entraînante, avec une construction qui suscite l’intérêt. J’ai aimé reconnaître des citations et références ici et là et j’ai bien apprécié les traits d’humour. On passe du rire à la colère en passant par la désolation la plus totale. Bref un bon moment de lecture, qui m’a fait passer un bon moment et m’a emmenée ailleurs dans ces moments particuliers. J’ai apprécié.