Ce roman était LE roman dont j’avais hâte à la sortie. Si j’avais fini et posté le tag de début d’année que j’avais filmé, c’était « my most anticipated new release ». J’ai adoré les deux tomes lus de La guerre du Pavot et là, elle nous proposait un Dark Academia avec, comme toile de fond, l’anticolonialisme. Il me le fallait. Et je l’ai lu dès sa sortie.
De quoi ça parle
Robin Swift est un jeune orphelin né à Canton dans les années 1820. Suite à la mort de sa famille, il est emmené en Angleterre par un riche professeur où il sera formé en latin et en grec afin de pouvoir intégrer la célèbre et puissante Babel, l’académie de traduction d’Oxford. À cet endroit, non seulement on étudie, mais on est aussi responsable de graver l’argent, qui permet à l’Empire britannique de magnifier sa puissance. Ce monde utopique se révèle toutefois traître car nous sommes en plein colonialisme, les guerres de l’opium planent et nos protagoniste se retrouvent à la merci d’un univers qui a besoin d’eux, mais qui ne les accepte pas.
Mon avis
Ce roman c’est… quelque chose. J’étais certaine que ce serait dans mon top lectures de l’année avant de l’ouvrir mais j’ai eu des ups and down. Mais je m’explique. Sans spoiler. Du moins j’essaie.
Nous sommes donc dans un univers qui ressemble au nôtre. Certes, il y a l’argent (le métal… pas la monnaie) qui donne du pouvoir à l’aide de mots traduits en divers langages, mais c’est notre monde. Et la problématique qui y est décrite est réelle. Nous sommes en pleine époque coloniale, l’empire britannique est prêt à tout pour conserver son luxe et son pouvoir et il considère toutes les autres nations comme inférieures. Donc, s’en servir sans scrupule, aucun souci. Nous avons donc un commentaire de premier plan sur le colonialisme mais aussi sur l’industrialisation et le capitalisme. Impossible de le manquer. C’est « in your face » dès le début et c’est répété maintes et maintes fois. Le racisme, à cette époque, c’était terrible et certains passages sont très difficiles à lire. Le professeur Lovell, le « gardien » de Robin est un être… immonde. Et le pire, c’est qu’il représente sans doute assez bien ce que les riches anglais de l’époque devaient penser. Bref…
J’ai adoré le début du roman. Le personnage de Robin et son évolution est fascinante et sa vision très naïve du monde nous permet presque de croire à l’utopie que semble être Babel, avec ces gens de toutes les nations travaillant ensemble. J’aurais aimé que cette illusion soit gardée un peu plus longtemps, j’aurais aimé y croire moi aussi mais je comprends le choix de l’autrice. Ceci dit, les parties qui se passent à l’université, les dissertation sur la langue, le langage, la traduction… j’ai tellement aimé. J’y ai retrouvé cette idée que chaque langue a sa couleur, sa texture et que traduire, c’est trahir. Les explications étymologiques étaient fascinantes, les cours… bref, la partie que certains ont trouvé plus « académique » a été ma préférée de tout le roman. Le système avec l’argent m’a passionnée, justement parce qu’il fait appel à ce qu’on « perd » à la traduction, ce qui reste pris entre deux langues. L’atmosphère de l’université est très bien retranscrite. J’aurais aimé « voir » davantage des interactions positives entre nos quatre personnages principaux plutôt que simplement me les voir expliquées. Ici, on voit surtout les discussions par rapport au racisme mais assez peu les autres. Je crois que le côté « found family » aurait été plus fort – et plus tragique – si on avait assisté à davantage de scènes. Mais je pinaille.
Si je me doutais de comment le tout allait tourner, ce n’est pas plus facile à lire pour autant. La fin nous sort de cet univers douillet et nous emmène ailleurs, où il y a davantage d’action et de violence (en même temps, c’est RF Kuang, il fallait s’y attendre). Dans cette partie, on nous noie littéralement dans le message, avec lequel, soit dit en passant, je suis totalement d’accord. Mais c’est beaucoup de redites et il y a peu de zones de gris. Entendons-nous, dans la situation du colonialisme, il n’y a pas à en avoir. Mais il y a assez peu de place pour la rédemption et les différences interindividuelles. Ça laisse aussi très peu d’espoir au « vivre ensemble », c’est profondément déstabilisant et ça fait réfléchir.
Et parlons langage. Dans un roman qui y accorde autant d’importance, j’ai trouvé particulier de retrouver une façon de parler du racisme très 2020… dans le Oxford de 1830. Les termes utilisés, les thèmes et façons de voir les choses sont très actuelles et font assez anachroniques dans cet univers. Ceci dit, je ne suis pas assez connaissante sur le sujet pour bien connaître les discours contre le racisme de l’époque et dans un univers fantastique, l’autrice peut bien faire ce qu’elle veut. Toutefois, la manière d’en parler était particulière étant donné le contexte.
En résumé, une très bonne lecture qui fait cogiter et qui pourra plaire aux amateurs de romans denses et sombres de l’univers académique, qu’on écorche au passage. C’est savant, bien documenté et argumenté et j’ai été complètement immergée dans l’histoire. Il faudrait que je finisse The Poppy War maintenant.