J’avais beaucoup entendu parler – et en bien – de Hadassa de Myriam Beaudoin il y a quelques années. Je l’avais noté et – comme tant d’autres – oublié dans le fond de ma wish list québécoise. Si j’ai fait un petit saut spécial à ma librairie préférée (Marie-Laura, à Jonquière.. je me répète, je sais, mais bon…) pour l’acheter, c’est que j’avais prévu de faire une promenade sur le sujet, à Montréal, avec les tours de ville Kaléidoscope.
Et quelle bonne surprise que ce roman!
On nous raconte deux histoires d’amour en parallèle. Celle d’Alice, jeune diplômée en lettres qui aboutit comme enseignante das une école juive hassidique par un curieux hasard et celle de Jan, pianiste polonais émigré travaillant dans une épicerie. Alice tombera en amour avec ses élèves, qui vivent dans un monde qu’elle ne comprend pas, surtout avec Hadassa, l’enfant-broussailles, l’enfant princesse, une onze ans, pas encore Bat Mitzvah. Quant à Jan, il sera irrésistiblement attiré par Deborah, femme juive hassidique mariée.
C’est avec un réel plaisir que j’ai découvert ce petit monde clos, où il est presque impossible pour un goyim d’avoir accès. Petit à petit, Alice découvre des parcelles de cet univers mystérieux et inacessible. Les jeunes filles lui racontent leurs traditions, leurs coutumes, leurs fêtes, toujours de manière très réservée mais suffisamment pour intriguer Alice, l’amener à vouloir en connaître davantage. Pour les jeunes filles, l’avenir est tout tracé. Jusqu’à 12 ans, l’école, où, l’après-midi, les enseignantes ne peuvent parler plusieurs sujets, dont la passion, les religions, l’actualité ou toute découverte scientifique datant de plus de 6000 ans (comprendre qu’ici, on est créationniste). Le matin, on leur apprend les textes sacrés et les 613 commandements de la Torah. Entre autres. Par la suite, les jeunes filles monteront d’un étage et pourront apprendre comment tenir une maison et faire la comptabilité commerciale. Et enfin, on leur choisira un mari, elles l’épouseront et ferons au moins 6 enfants. Le tout dans leur quartier, dans leur communauté. Et, à la longue, pour Alice, ça semble presque… rassurant. Voire même invitant.
L’écriture demeure simple et fluide. Les dialogues des jeunes filles sont truffés de mots anglais, de structures syntaxiques particulières, de mots yiddish. Ça ajoute très beaucoup de réalisme au récit et on les imagine réellement, ces fillettes enjouées, qui sont très heureuses dans ce petit monde, qui ne demandent rien d’autre et pour qui la liberté est une statue. J’ai particulièrement apprécié l’absence de jugement dans les propos. Il y a énormément de respect, même quand, visiblement, les personnages ne comprennent pas ce à quoi ils sont confrontés. Chacun réagit différemment, chacun a ses préjugés, sa façon d’appréhender ces gens qui vivent si près d’eux mais qui, pour préserver leur culture et leurs croyances, se referment souvent sur eux-mêmes.
L’histoire d’amour entre Jan et Déborah est touchante, interdite et on sent que la jeune femme est complètement bouleversée par des sentiments qu’elle ne contrôle pas et qu’elle n’avait pas demandés à avoir. On sent la femme qui apparaît, les interdits qui deviennent lourds mais aussi le choix de cette croyance, de cette vie. Cette partie de l’histoire est totalement inventée, tandis que l’histoire d’Alice est inspirée par l’expérience de l’auteur comme professeure dans une école juive hassidique. Il y a des éléments documentaires mais ceux-ci ne sont jamais lourds et parfaitement intégrés à l’histoire.
Une lecture que je conseille vivement, donc.
Je vous glisse aussi quelques mots sur la promenade. Dans celle-ci, on apprend sur la culture juive hassidique, et on nous promène dans les principaux lieux du roman. Entendons-nous, c’est plus culturel que purement littéraire. Mais nous voyons l’école où se déroule les cours d’Alice (très petite, c’est étrange), les principales rues où habitent les élèves, la fameuse ruelle, l’appartement de Jan, la pâtisserie Cheskie, et le lieu supposé de l’épicerie où les regards de Jan et Déborah se croisent. Vous comprendrez que je n’ai pas pris réellement de photos. Dans ces rues, NOUS sommes la minorité visible, entre tous ces hommes en redingote, boudins et chapeaux haut de forme, ces femmes habillées sobrement, avec une perruque et – souvent – un couvre-chef et ces enfants en manches longues et aux jupes sous les genoux. Et, par respect, j’ai évité la prise de photos intempestive. Ce ne sont pas des attractions touristiques, tout de même.
Une bien agréable promenade. Le guide, même s’il n’est – de son propre aveu – pas un littéraire, connaissait très bien le quartier, avait lu et potassé le livre et a pu nous faire découvrir ce petit monde, en précisant certains aspects et en nous incitant à ne pas généraliser, ce qui est toujours appréciable!