Oui, je suis orthophoniste. Non, je ne travaille pas en autisme. Donc, je suis LOIN d’être une spécialiste dans le domaine. LOIN. En fait, les cocos autistes, je les ai avant qu’ils soient diagnostiqués. Avant qu’ils soient pris en charge par l’équipe du CRDI. Il y a plusieurs lignes de pensée en autisme. Plusieurs conceptions. Et je vais le préciser d’emblée, celle qui est présentée ici est celle à laquelle j’adhère le plus. C’est celle qui nous parle de neurotypie et qui ne considère pas l’autisme comme une maladie. Celle qui fait la différence entre les symptômes et la problématique du cerveau autistique. Celle qui est soutenue par Temple Grandin et, d’une certaine façon, par le Dr. Mottron, que j’ai côtoyé en stage il y a… quelques années, disons. Je suis donc biaisée. Positivement. Mais je suis fort consciente que ce livre va secouer et remettre en question plusieurs pratiques. Il va peut-être mettre en colère aussi. Mais bon. Avoir l’esprit ouvert, surtout quand il y a des données scientifiques derrière, c’est nécessaire, non?
Un livre sur l’autisme, par un autiste. Une voix qui parle pour eux. Car ils ne peuvent pas tous expliquer.
J’avais donc bien envie de lire cet ouvrage de vulgarisation, mais encore plus après avoir pu discuter près d’une demi-heure avec les auteurs au salon du livre. Nous avons pu avoir une conversation intéressante et j’avoue que j’espère les rencontrer à nouveaux car suite à ma lecture, j’ai encore PLUS de questions! Sur les bases théoriques. Sur la diversité des expériences autistes utilisées pour la théorie… bref, j’ai plein d’interrogations. Cet ouvrage a surtout ouvert mon appétit de connaissances car bon, j’ai toujours senti qu’il me manquait une pièce importante pour travailler avec les autistes. Avec ces cocos, nos trucs habituels ne fonctionnent pas, ce qui est très logique, vu que dans ma tête, l’organisation cérébrale (ou les connexions, comme le nomment les auteurs) des autistes sont différentes des non-autistes. Pas neurotypiques donc. Et actuellement, ce sont eux qui doivent s’adapter à nous.
Mais bon, revenons au livre. Comme je l’ai dit, il s’agit d’un ouvrage de vulgarisation. En tant qu’orthophoniste qui a déjà assisté à divers colloques sur les troubles neurodéveloppementaux, je n’ai pas « appris » au plan théorique. Ça m’a donné envie de retourner fouiller dans mes notes (oui, j’ai des loisirs étranges, hors-travail, parfois… revoir mes notes de formation) pour refaire mes liens et avoir davantage de matière pour réfléchir à l’intervention. Ah mais je m’égare encore. Je sens qu’il n’y en aura pas de facile!
Donc, première partie : explication des concepts, de l’avancée de la recherche, de leurs bases théoriques. Les deux parents à qui j’ai fait lire cette partie l’ont trouvée un peu ardue, mais tout de même accessible, avec un minimum de support. Je n’ai aucunement l’intention de vous expliquer ça ici… va falloir le lire!
Ensuite, c’est la FAQ. Et la réponse des auteures à ces questions fréquentes et ces mythes, selon ces bases théoriques. Les réponses sont claires. Tranchées. C’est ce qui va probablement déranger, voire même culpabiliser certaines personnes. Genre… ce que vous faites, ça ne marche pas. Pourtant, ce n’est pas du tout le but. Les auteures ont beaucoup de respect pour les intervenants, qu’ils décrivent comme compétents et bienveillants. Mais elles ont beaucoup d’inquiétudes pour les personnes autistes dont, le mentionnent-elles, on ne respecte pas toujours la structure de pensée autistique.
Très intéressant, donc. Et ça se lit tout seul, comme un roman. Les exemples sont concrets, sentent le vécu. Les souvenirs de Brigitte Harrisson, elle-même autiste, illustrent bien le propos et les témoignages de Kim Thuy sont touchants. Les conseils qui s’adressent aux familles sont pertinents, même si pas toujours faciles à intégrer. Ça signifie qu’on doit être assez loin dans le processus d’acceptation.
Mon bémol? Juste une petite sensation de « trop peu », fort probablement dû au public cible de l’ouvrage. Vous savez, les cours à l’université où on travaille sur les concepts, la symptomatologie… mais qu’il nous manque toujours la partie sur le traitement? Mes collègues orthophonistes comprendront! Du coup, on a l’impression, parfois, que tout est à jeter, sauf SACCADES, et le LSC, le système de communication élaboré par les auteures. On nous parle d’étapes de développement, de guider les personnes dans ces étapes, mais la pièce qu’il me manque, le « comment », n’y est pas et j’en aurais voulu plus. Bien entendu, comme la langue des signes ou le braille, ça ne s’apprend pas dans un livre, j’en suis consciente. Par contre, du coup, les gens qui n’ont pas accès à ce système dans leur coin peuvent se sentir complètement démunis suite à la lecture (du moins, les deux mamans en question) et ont eu l’impression qu’on essayait de leur « vendre » SACCADES, dont elles ont du mal à comprendre l’essence.
J’avoue que cette réaction m’a surprise… je n’aurais pas pensé que ça pourrait susciter cela.
Bref, il va falloir fouiner! Ou me payer une formation, en mode curieuse, vu que je ne travaille pas avec la clientèle à proprement parler. Juste le fait qu’on parle de communication et pas juste de parole… j’adore!
À lire…
Ajout… Je place ici l’entrevue des auteures et de Kim Thuy à TLMEP ce dimanche… ça donne une bonne idée des conceptions théoriques à la base de ce livre.
10 Commentaires
Passer au formulaire de commentaire
J’ai lu avec intérêt ton billet (avec ses interrogations). Si tu as une suite (une formation?) tu nous diras?
Auteur
Je dirai! Bon, là, c’est le bordel, alors je n’ai pas le temps dans les prochains mois mais je suis curieuse!!
Voilà un ouvrage qui a l’air intéressant. Il y a une classe ULIS autisme à côté de la mienne dans mon école, et je suis allée parfois passer la journée avec mon collègue, nous sommes aussi allés à la piscine avec les enfants, je découvre un peu ce que signifie l’autisme. As-tu lu d’autres ouvrages sur le sujet ?
Auteur
J’ai lu des trucs plus techniques. Avec plusieurs perspectives, parmi plusieurs vagues théoriques. Parce que ça m’intéresse. Mais ce n’est pas mon champ de pratique principal, alors j’ai des collègues qui ont beaucoup, beaucoup plus lu!
C’est super d’avoir conservé tes notes de formation. Je crois que j’ai tout jeté !
Auteur
je parle de notes d’il y a 3-4 ans! Dans le temps de mes études, les notions théoriques étaient hyper différentes. Bon, j’ai encore presque tout hein… ne serait-ce que pour rire un peu!
Je suis mère d’un autiste Asperger de 24 ans.
Nous nous en sommes rendus compte très tard (quand il avait 16 ans environ) après avoir suivi mille autres pistes.
Les choses continuent d’être compliquées.Je continue à chercher la meilleure manière de l’aider à s’intégrer dans la société.
J’ai l’habitude de dire que mon fils est un oeuf carré que tout le monde veut faire entrer doit une boite à oeufs classique.
Chaque fois que quelque chose s’améliore, un nouveau problème surgit, c’est le mythe de Sisyphe en grandeur nature.
Penses-tu que cet ouvrage puisse m’aider ?
PS : une BD est sorite récemment vraiment très intéressante sur la question : La différence invisible de Mademoiselle Caroline et Julie Dachez chez Delcourt qui explique très bien l’autisme Asperger au féminin (Julie Dachez est aspie)
Auteur
Oh, je note la BD avec intérêt. J’ai un copain TSA de type Asperger alors ça m’intéresse.
L’ouvrage donne une autre perception de l’autisme. Juste pour ça, c’est très intéressant. Dans l’entrevue que j’ai ajoutée à la fin du billet, ils discutent un peu du type de personne autiste à qui ça peut s’appliquer… et la réponse est pas mal à tous. La structure neurologiste autiste est expliquée « de l’intérieur » et c’est super intéressant. Comme je ne prends rien « pour du cash », je vais continuer à m’informer, mais si le sujet vous intéresse, oui, je conseille. Ne serait-ce que pour se questionner!
Je suis intriguée moi aussi et je note le titre 🙂
Auteur
Ca fait réagir, disons.