Voici un roman que j’ai beaucoup aimé mais dont – je le sens – j’aurai du mal à parler. Il traînait dans ma pile depuis un bon bout de temps (en fait, depuis sa réédition chez Alto) mais c’est quand j’ai lu les correspondances de l’auteur avec Gabrielle Roy que j’ai eu une intense et subite envie de l’en ressortir.
L’ange de pierre, c’est celui qui trône sur le monument funéraire des Currie, dans la petite ville fictive de Manawaka au Manitoba (l’une des provinces « du milieu », pour les européens qui me lisent). Quand nous rencontrons Hagar Shipley (née Currie), elle a 90 ans. Sa santé vascille, elle a du mal à marcher et son regard est davantage tourné vers le passé que vers l’avenir. Car bon, devant elle, elle ne sait pas trop ce qu’il y a. Elle habite avec son fils « pas préféré », Marvin et sa bru (qu’elle considère comme une grosse femme stupide et plaignarde) Doris. Entendons-nous tout de suite, de jeune fille déterminée, Hagar est devenue une vieille haïssable, qui se permet de dire à peu près n’importe quoi à n’importe qui. Sans compter ce qu’elle en pense!
Mais voilà, Marvin et Doris ont la soixantaine. Difficile pour eux de s’occuper de Hagar qui demande de plus en plus de soins et qui est de plus en plus souvent plongée dans le passé. Pour eux, la solution, la survie, même, c’est la maison de retraite. Ce à quoi Hagar s’oppose avec toute la vigueur qui lui reste, comme vous pouvez vous l’imaginer. Et c’est avec cette peur en tête qu’elle revit sa jeunesse en tant que fille d’un homme « qui a réussi à partir de rien » et qui a la hantise des apparences (elle est une Currie, après tout), du qu’en dira-t-on. Nous verrons son mariage avec Bram Shipley, un homme de 14 ans son aîné, fermier grossier et sans le sou. Ses désillusions. Sa jalousie à l’égard de Lottie, l’une de ses camarades d’enfance. Ses espoirs reportés sur John, son fils préféré pour qui ce sera beaucoup trop lourd. Bref, une femme affirmée, libérée pour l’époque, pas religieuse du tout dans un monde où ça prenait toute la place (le roman a été écrit dans les années 60). Et tout au long de son histoire, nous la regardons aller en nous disant à la fois « tu l’as bien cherché » et en ayant le goût de retenir les mots de trop, ceux qui blessent et ne s’oublient pas. Et en lui chuchotant ceux qu’elle n’a pas dits. Nous oscillons entre la compassion pour Hagar et la pitié pour son fils et sa bru qui sont à bout de souffle (et à bout de nerfs) devant ses attaques et ses comparaisons. Rien n’est tout noir ou tout blanc. Tout est profondément… humain. Humain et souffrant.
Une construction alternant entre le passé et le présent, entre les brumes et la clarté, une écriture maîtrisée, précise et un personnage principal qu’on a parfois du mal à aimer, mais qui nous touche profondément. Elle présente en effet une dualité intrigante, un mélange étonnant de force et de faiblesse. Une réflexion aussi sur la vieillesse, sur les espoirs déchus, sur les deuils qui ne se font pas et sur la lutte interne qu’elle livre quotidiennement.
Une auteure classique canadienne que je n’avais jamais lue… mais que je relirai certainement. Un roman vrai.
8 Commentaires
Passer au formulaire de commentaire
Je note, qui sait, si jamais je le trouvais quelque part… la couverture st suffisamment mémorable (et me plaît !)
Anne: Je pense que tu devrais pouvoir trouver. C’est un auteur quand même pas mal traduit.
une auteure dans la lal depuis trop longtemps !
Theoma: Elle mérite d’être découverte je trouve.
Beau commentaire dame Karine et je suisravie que la plume de M.Laurence t’ait plu. N’hésite pas à découvrir ses autres oeuvres car, crois-moi, un pur plaisir de lecture à chaque écrit.
Suzanne: J’ai déjà fait le plein :))
Pour ma part, j’avais réussi à aimer cette vieille dame, malgré son caractère de cochon!
Grominou: En fait, on l’aime et on la déteste à la fois! La mauzusse!