Aujourd’hui, je m’installe devant mon clavier et j’essaie de vous parler un peu de ce premier tome de la Recherche. Inutile, vous direz-vous. Tant de gens l’ont fait. Des livres, des thèses y ont été consacrés. Par des gens bien plus ferrés que moi dans le domaine. Mais cette lecture m’a vraiment fait un drôle d’effet (vous me direz que bon… tout me fait un drôle d’effet)… alors il faut que j’en parle, n’est-ce pas?
Gros aveu, quand j’avais 13 ans, j’avais décidé de « lire les classiques ». Plusieurs grands y ont passé (et le terme est faible… je pense que certains sont surtout passés 1000 pieds au-dessus de ma tête, en fait). J’avais donc, pleine de détermination, ouvert ce roman en me disant que j’allais peut-être souffrir, mais que j’allais le LIRE! Après exactement 47 pages, je n’en pouvais déjà plus de tourner chaque phrase longue de 4 km dans ma tête pour tenter de comprendre ce que ça pouvait bien vouloir dire. Puis, là, soudain, arrive l’histoire de la madeleine. LE truc dont j’avais entendu parler. Alors j’ai poussé un ÉNORME soupir de soulagement et j’ai refermé le truc. En me disant que oui, cette scène était géniale, que j’avais donc lu le meilleur du truc… et que je pouvais abandonner l’esprit tranquille.
Oui. Je sais.
Bref, 25 ans plus tard, prise d’une lubie que je ne comprends pas encore… je l’ai réouvert. Et j’ai adoré. Pour de vrai de vrai de vrai. Et quand j’ai vu arriver la madeleine, je n’avais pas du tout envie d’arrêter de lire. Au contraire.
C’est une bien étrange expérience que de lire Proust. D’abord, parce qu’après avoir lu ces 700 pages, si on me demande de quoi ça parle, je suis quand même toujours bien embêtée. Ça parle de souvenirs, de souvenirs de la tête et de souvenirs du coeur. D’enfance. Du temps qui fuit. Des gens qui évoluent. D’espoirs. De perceptions. De découverte du monde et de la vie. De la perte de l’insouciance. De jalousie aussi. Et d’amour, même si c’est parfois bien bien mal exprimé. Ça parle de snobisme, de mesquineries, de noblesse et de société. Ça parle de grands rêves. Et on entrevoit l’écriture aussi, par bribes, qui pointe le bout de son nez. Ça parle de tout ça. Souvent en symboles (que je ne m’imagine même pas avoir compris hein). Mais pour moi, les deux côtés, celui de Guermantes et celui de Méséglise, ont été particulièrement évocateurs…
Ajoutons à tout ça une plume magique, qui rend la lecture loooongue, loooongue! Dans mon cas, c’était parce qu’à chaque trois phrases, je levais les yeux de mon livre pour me faire des images ou pour rêvasser à la beauté de ce que je venais de lire. Une plume complexe mais sensible aussi, à travers laquelle on entend clairement la voix de l’enfant que le narrateur était, qui révèle des sentiments qu’il ne comprenait même pas lui-même à l’époque. Et du coup, je me revoyais enfant, avec « mon » monde tronqué, mes passages secrets, mes grandes aventures et mes grandes réalisations soudaines qui me révélaient un monde que je n’avais même pas imaginé jusque là. Et j’ai pu voir le côté universel de ce roman, même s’il est bien ancré dans l’univers de la haute bourgeoisie de l’époque.
Dans la deuxième partie, « Un amour de Swann » (là, il y a une histoire claire), j’ai ragé contre Swann et Odette, qui ne vivent clairement pas la même histoire mais dont on connaît très bien la fin avant même de l’avoir commencée. Une jalousie folle qui s’entremêle avec les sentiments amoureux, des manipulations de l’autre côté (certaines histoires sont incroyables)… Madame Verdurin et son petit cercle sont admirablement croqués et je me suis sentie limite impuissante devant le tout, ayant le goût de secouer Swann et de baffer Odette à l’occasion, même en comprenant qu’elle n’est qu’une femme qui n’a pas grand chose à perdre…
Bref, j’ai vibré. Beaucoup vibré.
Et je me sens dépassée par ce roman, plus grand que moi, qui me fait sentir toute petite et minuscule.
Mais si je me dis que j’en lis 2 tomes par année… dans 4 ans, je devrais y arriver!
46 Commentaires
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c’est otut à fait ça 🙂 très beau billet, c’est tout à fait ce que j’ai ressenti 🙂 j’ai complètement craqué pendant la scène du petit biscuit court et dodu qu’on appelle petite madeleine mais grave hein 🙂
Yue: Moi aussi j’ai tapé des mains! Eet à d’autres occasions, je n’étais même plus capable de continuer tellement une phrase me restait en tête!
C’est marrant, j’ai justement commencé à le lire samedi, téléchargé en pdt sur mon téléphone, car coincée dans la voiture sans ma lecture du moment… et ben les deux heures d’attente sont passées bien plus vite!
Lisa: Bizarrement, je n’ai aucn doute là-dessus! Bonne lecture!
Ne t’inquiète pas, moi il me faut dans les 10 ans pour lire le tout… mais quel plaisir! Surtotu ne pas accélérer , et rêvasser…
Ton billet me fait plaisir (vais-je replonger dans la marmite?)
Keisha: Exactement… prendre son temps, savourer, imaginer… ça fait partie du plaisir de lecture! Tu l’as lu combien de fois, déjà??
Je n’avais jamais été très motivée pour le lire, mais là tu m’as vraiment donné envie de m’y mettre 😀
Arieste: La motivation m’a prise tout d’un coup! Voire même l’envie irrépressible. Mais je vais attendre un peu entre les tomes… juste pour ne pas me lasser!
J’aime bien ton billet aussi ! Et ça me donne envie de découvrir Proust dont je n’ai jamais lu que l’extrait de la madeleine…
Anne: Ah, ce fameux extrait! C’est vrai qu’il est magnifique, par contre. L’extrait qui parle des fleurs est aussi magnifique!
Ça fait quatre ans que je promets à Keisha de le lire … je l’ai acheté il y a deux ans, un jour je m’y mettrai (c’est la cathédrale de Rouen de Monet en couverture ?)
Aifelle: Je pense que oui… mais je n’ai pas vérifié… et là, mon livre est bien rangé bien bien loin! Et il faut tenter le coup… ça demande du temps mais ça en vaut sérieusement la peine!
Bravo à toi! Pour m’être lancée dans l’aventure il y a quelques années, je peux dire que je sais à quel point cette expérience chamboule, tourneboulle, touille tout dans notre bidon … et notre coeur!
Merci pour ce bel avis! 😉
Romanza: C’est une aventure qui nous vire de bord! ET qui nous amène là où on ne s’attendait pas!
Karine…! Ton billet est délicieux!
Quand j’étais floune, mes parents avaient un ÉNORME recueil de tous les tomes d’À la recherche — je le voyais sur leur table de chevet & ça me faisait quasiment peur. (Je crois pas qu’ils l’aient jamais terminé. ;p) Mais là! Tu me donnes vraiment le goût de m’y risquer. 🙂
(& je me reconnais vraiment dans ton adolescence liseuse de classiques non-absorbés… j’ai entrepris de relire tous les Tolstoï & les Dostoïevski que j’ai lus entre 13 & 17 ans, parce que sérieux, comme première lecture, c’était pas fort.)
Amélie: Merci beaucoup! Moi aussi j’avais peur en fait… et n’importe quelle intégrale de Proust est teeeellement intimidante! Quant à mes classiques de jeunesse… oh my… Ma premiere lecture d’Anna Karénine était heu… collée à l’interprétation de Vivien Leigh ?? disons que j’en ai perdu un bout et que je n’ai vu la partie plus sociale que lors d’une 2e lecture… Quant à Mme Bovary, je n’avais retenu qu’une chose : c’est une salope – tromper son mari… c’est une pute, non?? vive les nuances des filles de 13 ans! – et elle mérite bien ce qui arrive!
Bon, pour le moment il ne fait absolument pas partie des classiques que j’ai prévu de lire mais tu me donnerais presque envie, j’aime beaucoup ta façon d’en parler.
Bladelor: Presque hein? Je vais espérer aimer autant le 2e pour te donner encore plus envie! C’est quoi, les classiques que tu prévois lire??
Je suis admirative ! Et tu donnes presque envie…
Mais ! J’ai étudié certains extraits d’ « A la recherche du temps perdu » à l’école et les phrases de dix kilomètres de long m’ont découragée de lire Proust. Pourtant j’aimerais… Un jour, peut-être 🙂
Et c’est une bonne idée de le lire petit à petit !
Caro: C’est un auteur bien spécial, avec une plume bien spéciale… Mais oui, les phrases ont souvent 10 km. Voire même 12!
Je ne me sens toujours pas capable !
Manu: Faut pas s’obliger non plus hein!
il est formidable ton billet, très touchant 🙂 Je me souviens de Proust comme une alternance de moments d’ennui et de purs bonheurs… mais c’était il y a 12-15 ans!
Violette: Merci :)) Il n’était pas facile à écrire, celui-là!
Et bien ne doute plus jamais de tes talents d’écrivaine, raconteuse et critique, parce que j’ai lu le-dit livre, il m’a ennuyé pour mourir… et là, je me dis que je dois le relire car ton billet m’en donne franchement envie ! Et pourtant, je l’avais lu dans ma 1ere année du BAC en Études Françaises (UdeM) et j’étais remplie d’illusions, et surtout j’étais certaine de tomber en amour avec Proust… mais horreur, j’ai détesté les 3 livres que j’ai lus (ce qui faisait que je ne faisais pas partie de la gang, puisque Proust était un dieu).
Mais vraiment, tu me donnes envie de réouvrir mes livres… alors bravo et merci pour me faire douter ! 😀
Laila: Ah, tu me fais vraiment plaisir. Ca veut dire que j’ai su partager mon émotion face à cette lecture et ça a vraiment été… intense pour moi! Si un jour tu réessaies, je veux avoir des updates!
A hum, trois.
Keisha: :))) MOi je dois être à 23 de Autant en emporte le vent… donc je ne juge personne!
En priorité : Tolstoï, Sweig, Shakespeare, Dickens, pas un français, donc ! :o)
Ah oui, mais ce sont des grands! Je valide!
Quel courage de t’être attaquée à Proust. C’est sûrement très bien (comme ta chronique) mais alors je n’ai aucune envie de le découvrir ! 😀
Frankie: Longtemps, je n’en ai eu aucune envie non plus… je ne sais pas pourquoi, ça m’a pris d’un coup!
Vilaine, pourquoi tu publies ce billet justement quand je suis en vacances? Ce fut un réel plaisir pour moi de lire (enfin d’écouter) ce premier tome, j’ai trouvé le jeune narrateur très touchant et puis bien sûr, il y a l’écriture.
Valérie: Tu l’as lu récemment? Je pense que j’en ai manqué unbout… je ne réussis plus à suivre!!! Pour moi ça a été une Expérience. AVec un grand E. Et en audio, ça devait être quelque chose aussi!
Oui, lire Proust c’est entrer dans un univers où l’on va vivre dans un labyrinthe au fil des méandres de ses phrases. On sait que l’on va passer des heures chez les Swann ou les Guermantes…Variations sur un même thème… Mais un bonheur de lecture inévitable pour qui aime la LITTERATURE, celle qui vagabonde…
Denis: J’adore ta comparaison. C’est vrai que c’est un labirynthe de pensées et de sensations!
J’ai lu seulement Un amour de Swann, et ce il y a des lustres; maintenant tu me donnes envie de me lancer dans la grande aventure! J’ai aussi revu aujourd’hui l’émission La Bibliothèque de… sur Canal Savoir où l’invité Denys Arcand dit que c’est le plus grand roman jamais écrit, toutes cultures confondues!!
Gominou: En fait, si tu as lu Un amour de Swann, tu as lu un tiers de ce roman :)) Je t’encourage, en tout cas, si tu as envie. C’est tout un monde qui s’est ouvert à moi.
Je me fais régulièrement la promesse de lire plus de classiques aussi 🙂 Proust est régulièrement emprunté à la bibli puis laissé de côté au profit de roman plus contemporains 😉 Tu me donnes envie de persévérer !
Céline: Ca vaut le coup. Pour ma part, j’ai aussi lu autre chose en parallèle hein… pour vraiment profiter de ma lecture quand je plongeais dedans!
Bravo, je t’admire !! Il faudra que moi aussi un jour je me remettre à lire Proust autrement que sous la contrainte !
Noukette: Je susi certaine que pas sous la contrainte, ça peut plaire!
Bravo d’avoir réussi à lire ce livre qui me fait encore peur. Des années que je veux lire Proust, que je sais qu’on va s’entendre, mais j’ai toujours une bonne excuse. J’aimerais bien vibrer moi aussi quand même.
Lilly: Je veux lire le 2 bientôt… cet été, probablement!
Je viens de découvrir votre site en lisant un commentaire que vous avez fait en lien avec le défi de Madame.lit pour 2018.
J’espère que vous avez beaucoup avancé dans votre lecture de Proust. Quel écrivain merveilleux. J’en suis aux dernières pages du Temps retrouvé au moment où le narrateur découvre qu’il est vraiment un écrivain et il revient aussi à ce moment sur le passage de la petite madeleine.
Auteur
Bonjour! J’ai terminé la recherche en audio… et je l’ai relue en papier. Le temps retrouvé est une pure merveille. J’ai tellement aimé. Proust est un génie! Merci pour votre visite.
[…] ce qui m’a pris, mais j’ai décidé de lire la Recherche. J’ai lu « Du côté de chez Swann« , j’ai adoré, j’ai vibré, je suis tombée en amour avec l’écriture […]