Le bibliothécaire – Mikhail Elizarov

bibliothecaire.jpgPrésentation de l’éditeur

« Quand Alexeï Viazintsev, dit Aliochka, part régler la succession de son oncle dans une petite ville des confins de la Russie, il ignore qu’il va se retrouver en plein milieu d’un sanglant conflit souterrain autour de l’écrivain Gromov, un plumitif oublié de l’Union soviétique. À son arrivée en ces lieux étrangers, en effet, on lui apprend que les textes de Gromov ont certaines propriétés mystiques dès lors qu’on les lit et relit régulièrement, et que ses lecteurs sont prêts à se battre jusqu’à la mort pour les posséder…

 

C’est un récit où se heurtent la caricature d’une société défunte et l’attachement à des racines culturelles souvent inventées ou arrangées. Un récit qui sonne tout autant le glas de l’homo sovieticus qu’elle le condamne à renaître en se réinventant, en se réécrivant. Une fable sur le temps perdu, la nostalgie trompeuse et la barbarie du présent. »

 

Commentaire

Commençons ce billet par les aveux: il y a une partie de ce livre qui me dépasse.  Est-ce que ça vous arrive, parfois, de vous dire que vous n’êtes pas à la hauteur?  Et bien c’est ce qui s’est passé entre moi et ce livre, duquel je vais avoir du mal à parler parce que je pense sincèrement que si j’ai pu apprécier l’histoire, il me manque définitivement des éléments pour comprendre les métaphores et les allusions qui sont toujours très présentes tout au long de l’histoire.  L’histoire de l’URSS et la société soviétique, je connais un peu.  Le communisme, je connais un peu.   La base, quoi.  Mais ce n’était définitivement pas suffisant pour que je profite à plein de cette lecture. 

 

Nous plongeons d’emblée dans un univers très très étrange et j’avoue que dans les 50 premières pages, où on nous explique un peu qui sont les personnages important, ce qu’est une bibliothèque et un bibliothécaire et qu’on nous raconte les sanglantes batailles livrées par les membres de ces mêmes bibliothèques, j’ai eu peur.  Un moment donné, pendant une bataille de bloody mamies complètement déchaînées et sans pitié, je me suis même demandée ce que je foutais là, dans cette histoire qui me menait je ne sais où.  Sauf que par la suite, quand on fait la connaissance de Viazintsev et qu’il nous raconte son histoire et son entrée maladroite dans une cohorte de lecteurs bien malgré lui, je me suis rapidement intéressée à son sort et je me suis plongée dans cette histoire bizarre.  Parce que oui, ça reste dans le très bizarre, selon mon jugement bien sûr!

 

Il y a d’abord les Livres.  Le livre de la Joie (qui rend euphorique), le livre de la Patience (qui rend insensible), le livre de la Mémoire (qui vous inventent des souvenirs heureux), le livre de la Fureur (qui rend berserk), le livre de la Force, et le livre du Sens, qui serait disparu.  En vrai, ces livres racontent des histoires plates et politically correctes en union soviétique, vantant ce que le gouvernement prônait.  Mais les effets sur les lecteurs… c’est autre chose! 

 

Il faut donc dès le début comprendre et bien assimiler que « lecteurs », « bibliothèque » et « bibliothécaire » n’ont pas ici le même sens que celui que nous employons tous les jours.  Une bibliothèque, c’est un groupe organisé – et armé – autour d’un Livre, l’un de ceux de Gromov qui font en effet incroyable à ceux qui le lisent, et son bibliothécaire, c’est le chef, la tête pensante, celui que l’on respecte, que l’on déifie, preque.  Et les lecteurs, ce sont les soldats.  Ceux qui ont connu les effets du Livre et qui sont prêts à mourir pour le garder… ou pour défendre une autre cohorte par le biais d’alliances étranges.  C’est donc tout un petit monde de clans avec leur chef, leurs alliés, l’institution qui fait bien ce qu’elle veut sous des dehors d’intouchabilité et de justice et les mercenaires qui veulent un Livre ou tout simplement se venger.   Ça faisait d’ailleurs un peu moyen âge, tout ça… des batailles sanglantes, des attaques, des règles d’honneur. 

 

Le pauvre Viazintsev hérite donc du titre de bibliothécaire en même temps que de l’appartement de son oncle décédé en Russie un an auparavant.  Il n’en demandait pas tant!  Lui-même Ukrainien, Viazintsev ne sait pas trop comment se diriger dans ce pays d’après l’union soviétique et se retrouve un peu désoeuvré, comme plusieurs de ses camarades, d’ailleurs.  Il n’est pas très courageux, n’y croit plus vraiment et au départ ne veut qu’une chose: se sortir de cet univers qu’il découvre petit à petit.  Il restera pourtant dans cette cohorte où tout les camarades entrent chez lui comme s’ils étaient chez eux et qui sont prêts à mourir pour sauvegarder leur livre et les illusions que celui-ci leur procure.  Et c’est cette voix du nouveau venu qui découvre tout en même temps que le lecteur qui m’a permis de rentrer dans l’histoire et qui m’a réellement incitée à vouloir comprendre ce qui me dépassait à prime abord.   Une fois bien installée dans l’histoire, les pages ont défilé toutes seules. 

 

Il y a des passages assez gore… les batailles sont bien décrites, longues, pas toujours ragoutantes et parfois très cruelles, comme si pour leur Livre, ils étaient prêts à renier plusieurs notions de morale, plusieurs valeurs.  Une fois dans l’engrenage, on a l’impression qu’ils perdent le contrôle et se retrouvent dans cet univers un peu parallèle qui a presque l’air d’un jeu vidéo et qu’ils se laissent prendre, certains assez joyeusement.  J’en aurais peut-être aimé un peu moins mais c’est ma petite sensibilité de fifille qui parle.  Par contre, on sent une ironie poindre à maints endroits et même un peu d’humour, surtout dans les armes et armures faites du bric à brac le plus varié… mais léthales tout de même!

 

Un roman qui parle de livre, donc.  Mais un roman étrange, assez noir et complètement bizarre qui a su m’atteindre par certains côtés mais qui m’a laissé un peu derrière par mon manque de références.  J’imagine qu’il est ici question de pensée collective, de manipulation, de sacrifices individuels pour un but commun et d’illusions et j’imagine que ça a un certain rapport avec ce qu’a été l’union soviétique mais il me manque définitivement des clés pour bien comprendre.  La fin, entre autres, me laisse perplexe.  Si quelqu’un peut me donner quelques unes de ces clés, je serai ravie ravie!!!

 

Merci aux éditions Calmann-Levy pour l’envoi de ce livre qui sortira en librairie le 18 août prochain!

 

 

62 Commentaires

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    • Manu sur 18/08/2010 à 03:11

    Il y avait une lecture commune aujourd’hui ? Cela dit, je passe, il m’effraie ce livre, tant par le contenu que le contenant

    1. Manu: Non, il n’y avait pas de lecture commune en soi (mais Leiloona et moi avions quand même discuté de quand nous publierions ce billet!) mais une demande de l’éditeur de ne pas le publier trop avant sa sortie en librairie, qui est aujourd’hui ou demain!

    • Angie sur 18/08/2010 à 03:21

    Pour ma part, ce livre m’intrigue,j’ai une folle envie de le lire mais le manque de références dont tu parles m’embêtes un peu car je pense être dans le même cas que toi… Mais je note!!!

    1. Angie: C’est particulier.  J’ai lu qu’en Russie, on aime ou on déteste.  Le mieux est encore de se faire sa propre idée!!

  1. Je ne sais pas quoi penser ! Le côté mystérieux me tente mais mon manque de références m’arrête …

    Vais-je le lire ? Oui … Non … J’hésite ! Mais j’y songe ! Je vais attendre d’autres commentaires …

    J’adore ce genre de situation !

    1. Richard: On est bizarres… mais j’adore aussi ce genre de situations!  Je pense que sans références, on peut apprécier à un premier niveau mais que certaines connaissances sont nécessaires pour saisir tout le propos de l’auteur. 

    • niki sur 18/08/2010 à 04:12

    je crois que je vais passer mon tour 😉

    1. Niki: Il faut vraiment avoir le goût de se plonger dans l’étrange et d’être déstabiliser!

  2. J’ai bien peur de ne pas avoir assez de références…

    1. Pimprenelle; Il y a quand même un côté glauque-mais-drôle-à-la-fois qui pourrait te plaire… mais bon, pour ma part, il m’a manqué des clés.

    • Ys sur 18/08/2010 à 05:23

    Bon ben moi, je suis une bibliothécaire normale, une tête pensante, peut-être un peu, mais il m’arrive aussi d’être dépassée par certains livres, soit parce qu’ils sont trop référencés, soit parce qu’ils partent dans un délire trop personnel pour que je puisse y entrer. On n’a pas tous le même imaginaire (c’est rassurant aussi).

    1. Ys: Oui, ça rassure de voir que chaque tête fonctionne à sa façon!  Ici, j’ai été dépassée et j’ai clairement senti que je manquais quelque chose.  Par contre, peut-être qu’en Russie, quand on connaît l’histoire, c’était beaucoup plus clair!

  3. Leillona en parle aussi, elle a aimé, quant à moi, euh, j’ai vraiment baissé les bras, les batailles étaient longuettes, quelques trucs pas mal, oui, et je t’avoue que je serai incapable de t’expliquer la fin… Et pourtant j’ai quelques notions d’histoire russe actuelle…

    1. Keisha: Bon, ben je vais devoir supplier Leiloona pour qu’elle m’éclaire sur la fin parce qu eje suis dans la brume la plus totale!!!  Et même si les bagarres avaient un côté comique, oui, elles étaient un peu longuettes, comme tu dis.  Mais en gros, je pense avoir quand même apprécié davantage que toi!

  4. Alors comme ça, je n’ai absolument rien compris à l’histoire (je ne remets pas du tout en doute la qualité de ton billet, hein, mais ça m’a l’air très compliqué comme histoire). A première vue je ne suis pas tentée mais je cours voir les autres billets. On ne sait jamais…

    1. Zarline: Ah mais tu peux remettre en question… je ne suis pas particulièrement claire dans ce billet!! 

  5. Le billet de Keisha plus le tien, je passe sans regret

    1. Aifelle: Il faut avoir le goût d’un truc vraiment étrange, en fait!!

    • Pimpi sur 18/08/2010 à 08:50

    C’est sûûûr que c’est pas pour moi!!! 🙂

    1. Pimpi: Ah, ça non!  Tu as vu, je ne t’ai pas proposé de te le prêter, d’ailleurs!!

    • clara sur 18/08/2010 à 08:52

    Une chose est  certaine : ce livre n’est pas pour moi !

    1. Clara: Je pense qu’il n’est pas pour tout le monde… il faut vraiment avoir le goût d’être déstabilisé et de perdre certains repères.  Et bon, c’est bizarre.  Et je n’ai pas tout compris, alors je suis bien mal pour en parler!

  6. pas franchement convaincu pour en tenter la lecture.

    1. Alinea: Je pense qu’il faut vraiment avoir le goût de plonger dans cet univers!

  7. En lisant trop vite, je n’ai pas vu que le livre ne devait pas sortir avant le 18 août. Je l’ai donc demandé à quelques libraires. La plupart ont été surpris. Ils ne connaissaient pas Elizarov, ni Le Bibliothécaire. Alors, on m’a suggéré Le Libraire, La Librairie… Enfin, chez le dernier libraire, j’ai réalisé que je n’habite pas en France.

     

    Au Québec, le livre ne sortira que le 23 septembre. Un mois, avant de pouvoir lire ce livre! Mais je suis sur la liste. J’ai réservé la première copie. Et puis, je ne vois pas pourquoi je m’énerve. J’habite au Québec. Et cette année, on lit encore Les Belles soeurs de Michel Tremblay au Cegep… Alors, pour Elizarov, il devrait bien en rester quelques copies.

     

    N’empêche que j’ai hâte de lire ce livre. Nous en avons même parlé, cet après-midi, lors de notre habituelle réunion du vieux-poele, à la librairie de mon quartier. Il y avait là des amateurs d’arts et de littérature qui avaient tous quelque chose à dire sur les mouvements artistiques et littéraires qui se sont développés en Union Soviétique, pourtant souvent critiquée pour ses controles et ses restrictions artistiques. D’un autre côté, la quantité et la qualité de poètes, de romanciers, de peintres, de musiciens, et de danseurs, qui ont quand même perçés, en Russie, c’est tout simplement renversant.

     

    Finalement, je gage que je ne serai pas le seul, à attendre le début de l’automne…

    1. Yvon Verrier: Ah oui, pour ça, c’est vrai, les nouveautés arrivent presque un mois plus tard, ici…  j’ai reçu ce livre en juillet alors j’ai eu de la chance.  ET oui, avec la politique et les restrictions qui avaient cours en URSS (je ne connais pas assez la situation actuelle pour me prononcer), c’est tout bonnement incroyable que l’art Russe soit devenu ce qu’il est.  En Russie, les réactions au sujet de ce livre étaient réellement tout l’un tout l’autre, et dans mon cas, c’est souvent un très grand incitatif à le lire, pour me faire ma propre opinion, surtout quand un livre ne se donne pas si facilement que ça, ce qui est le cas pour celui-ci. 

       

      J’ai bien hâte d’avoir vos commentaires suite à votre lecture.  J’ai l’impression que vous pourrez m’éclairer sur certains points!

  8. Je pars demain en week-end, et comme les valises ne sont pas faites, la maison pas rangée, j’ai du retard, mais promis si j’ai un peu de temps aujorud’hui, je te donne ma version de la fin ! 😉

    1. Leiloona: C’est geeeentil!!!  Mais quand tu auras le temps, hein!  J’ai hâte de voir!

    • lael sur 19/08/2010 à 00:28

    et bien j’adore ton billet et le bizarre a su me convaincre! je note!

    1. Lael: C’est gentil… je le trouve bizarre, mon billet!  C’est un roman bien particulier, j’ai hâte de voir ce que d’autres lecteurs vont en penser!

  9. Non, non, je passe mon tour … et pourtant on parle de l’union sovétique et pourtant l’allure vieux livre sobre m’aurait poussé à acheter ce livre … mais non

     

    1. Kikine: Si tu n’es pas tentée par cet univers, tu risque de déchanter un peu!  Il y a des scènes terribles et drôles à la fois… mais il y en a beaucoup!

  10. Ce sera un long mois. Rien que la description du livre, et votre premier commentaire, ca m’a convaincu de vérifier rapidement chez mes libraires habituels. Et c’est assez amusant, ma recherche a déjà créé un intérêt pour le livre. Désormais, je ne suis plus le seul à l’attendre.

    1. Yvon Verrier: Bien contente que mon petit billet ait créé un intérêt!! 

  11. cela m’est arrivé… de ne pas comprendre le sens ou le sublime d’un livre…

    1. Lystig: Des fois, il y a des choses qui me dépassent totalement!  Il faut dire que j’ai une approche « récréative » de la lecture!

  12. Peut-être plus tard mais pour le moment je ne vais pas me jeter dessus;)

    1. Zorane: Il faut avoir le goût de ça et le goût de pénétrer dans un univers étrange!

  13. tu as raison ça a l’air des plus étranges mais intrigant aussi… tss tss !!!

    1. Yueyin: Très intrigant.  Avec ton énorme culture, tu vas peut-être comprendre mieux que moi et en tirer davantage!

  14. J’ai lu aussi le billet de Keisha et j’avoue que je ne suis pas très tentée…

    PS : ma fille est à côté de moi pendant que je blogue et elle vient de devenir toute folle en voyant ton blog : « Maman, regarde, il y a Hello Kitty, il y a Hello Kitty !!! »

    1. Restling: C’est un roman qui ne plaira pas à tous, je le crains… mais j’ai lu des avis hyper enthousiastes!!  ET oui, ya Hello kitty!

  15. Finalement, je n’attendrai pas jusqu’à la fin du mois. J’ai triché. Vendredi, j’ai commandé le livre chez FNAC, et je l’ai reçu de matin. Il me reste à lui tourner les pages, ce que je compte bien commencer, dès ce soir.

    1. Yvon Verrier: Wow, ça n’a pas été long!  J’ai hâte d’avoir votre avis sur tout ça. 

  16. Je le prends en note malgre tes difficultes lors de ta lecture, entre-autre parce qu il m attire mais aussi parce qu il pourrait faire parti de mon defi de lecture russe 🙂 En plus, le heros porte le nom de mon chum hi hi.

    Dsl pour les accents et l apostrophe j ecris depuis le Mexique et je les trouve pas sur le fichu clavier !

    1. GeishaNellie: C’est une hyper bonne raison, en effet!  Quant aux accents, ne t’en fais pas… quand j’écris en azerty, c’est assez sommaire moi aussi!

  17. Mon commentaire risque d’être un peu long. Je l’ai pourtant amputé de beaucoup. Mais on peut difficilement commenter une oeuvre russe en quelques mots. Je poursuit donc mes coupures. Mais, en attendant, je vous orffre ces quelques notes qui pourraient intéresser les lecteurs…

     

    Le lecteur n’est pas seulement celui qui lit un livre. Lire ou faire la lecture, ca peut aussi vouloir dire: enseigner. Dans plusieurs collèges anglais, le professeur est appelé lecturer. Le lectorat est aussi le premier rite qu’on donne aux futurs prêtres, ceux qui bien sur, ont déjà lu le livre… et qui l’ont maitrisé. Ca leur donne le droit de lire les textes sacrés en chaire, de les expliquer, et de les interpréter. Dans certaine communauté religieuse, dont le nom semble justement désigner une compagnie militaire, les prêtres sont appelés: soldats du Christ. Enfin, dans l’empire romain, le consul, ce magistrat qui possédait le pouvoir de contraindre et de punir, était accompagné par des licteurs, qui portaient des haches enveloppées dans des faisceaux de verges.

     

     Voilà, il me semble que les lecteurs du livre sont plutôt des licteurs

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    1. Yvon Verrier: C’est très intéressant, en effet…  je n’avais pas du tout envisagé la chose de cette manière, manque de connaissances oblige.  J’ai hâte de voir la suite de vos commentaires et votre appréciation globale!

  18. Mon commentaire est très long. Mais je ne vois pas comment faire autrement. Et le pire, c’est que je l’ai coupé de moitié, et plusieurs fois encore. Alors…

     

    Au début, je me suis dit: encore une histoire de livres cachés, de lecteurs initiés et de bibliothécaires qui n’hésitent pas à s’entre-tuer, pour obtenir, ou conserver leurs précieux livres. On dirait la version soviétique du livre de Umberto Eco, Le Nom de la Rose, dans lequel des moines s’empoisonnaient, en essayant de lire quelques pages du second livre de La Poétique d’Aristote, un livre perdu qui parle du rire, mais que personne n’a jamais lu, et que le vieux libraire fou prétendait même n’avoir jamais été écrit.

     

    Dans Le Bibliothécaire, le livre sacré est d’abord appelé le Psautier de la Perpétuation, en souvenir de ce livre de psaumes que des moines récitaient continuellement, en se remplaçant, de façon à ce que la voix du suivant chevauche celle du précédent: il ne faut pas d’interstice où le diable pourrait se glisser… Le livre s’appelle aussi l’Heptateuque, une collection de sept livres qui rappelle le Pentateuque des Hébreux, et qui devrait servir de guide ou de protection, au peuple russe, nouvellement libéré de son Égypte Soviétique, et désormais en route vers sa Terre Promise.

     

    …Personne ne se sauvera. À l’exception d’un seul homme, le dépositaire personnel et secret de l’ouvrage sacré, l’Heptateuque. Il sait bien qu’avec ces Livres, quelle qu’en soit leur lecture, l’un à la suite de l’autre, sans interruption, l’Ennemi terrible est impuissant. Cette coupole invisible fournit au pays un abris sûr, un voile miraculeux, une voute étanche plus solide que tout ce vaste monde, parce que érigée sur des fondements intangibles, une bonne Mémoire, une fière Patience, une Joie chaleureuse, une Force puissante, un Pouvoir sacré, une Fureur magnanime et un grand Dessein.

     

    Les premiers lecteurs furent recrutés parmi les humiliés et les offensés. Les humiliés, ce sont ceux ce que l’auteur appelle: « …des gens de corps de métiers insensiblement paupérisés, des enseignants par exemple, ingénieurs ou humbles agents de la culture, tous ceux que les changements en perspective pouvaient effrayer et décourager. Il postulait que l’intelligentsia, humilié par les temps nouveaux, fournirait une pâte malléable et sûre, incapable de révolte et de trahison, et tout particulièrement si on lui donnait la possibilité d’assouvir, à travers les Livres et par le truchement de Lagoudov, les vieilles angoisses spirituelles de sa classe. » Quant aux offensés, ce sont: « …ces personnes brisées par la guerre, en Afghanistan… En 91, la bibliothèque se remplit de retraités qui ne voulaient pas renier leur serment de militaire soviétique. »

     

    Au début de la révolution soviétique, il y avait déjà longtemps que les Anglais et les Français avaient coupé les têtes de leurs rois. Le reste de l’Europe se contentait désormais de déposer sa royauté… enfin, l’Europe était déjà industrialisée et démocratique. Et pour rattraper ce retard, en quelques années, la société russe est passée de paysanne à industrielle, et de féodale à communiste. Et je pense que le rapide passage du comunisme au capitalime, ne fut pas plus agréable.

     

    Plusieurs auteurs russes ont parlé des changements sociaux, dans leurs romans. D’abord, Tourgueniev: Pères et enfants, où on voit naitre le mouvement anarchiste chez les enfants qui n’ont plus confiance en leurs pères. Ils les jugent incapables de s’adapter aux nouvelles politiques du tsar, qui vient de transformer les travailleurs esclaves, en ouvriers payés. Plus loin, Gogol: Les âmes mortes, où un mystérieux personnage rachète les contrats de travail des ouvriers morts, afin d’obtenir des prêts bancaires, avec lesquels il achètera de la terre. L’astuce, c’est que le tsar ne fait l’inventaire des âmes qu’aux dix ans. Les Barines sont donc obligés de payer les taxes sur des âmes mortes. Mais, puisqu’elles sont encore légalement vivantes, on peut les vendre et les acheter. Enfin, Dostoïevski: Humiliés et Offensés, qui est non seulement une prémonition de la Révolution de 1917, et donc, de l’avènement de l’Union Soviétique. Mais c’est aussi le prélude à Crime et Châtiment, dans lequel, au deuxième chapitre de l’épilogue, on raconte le rêve de Raskolnikov, qui pourrait fort bien donner la clé du Bibliothécaire.

     

    Il avait rêvé dans sa maladie que le monde entier était condamné à être la victime de quelque terrible fléau inouï et jamais vu encore qui avançait sur l’Europe du fin fond de l’Asie. Tous devaient périr, à l’exception de quelques rares élus. Des trichines d’une espèce nouvelle avaient apparu, des êtres microscopiques qui s’installaient dans le corps humain. Mais ces êtres étaient doués d’intelligence et de volonté. Les hommes qui les avaient accueillis en eux devenaient aussitôt fous et furieux. Mais jamais les hommes de s’étaient crus aussi intelligents et aussi inébranlables dans leurs vérités que l’étaient ces contaminés. Jamais ils n’avaient considéré comme plus inébranlables leurs jugements, leurs déductions scientifiques, leurs principes moraux et leurs croyances…

     

    Le Bibliothécaire serait donc une suite de Humiliés et Offensés, et Crime et Châtiment, mais après la chute de l’empire soviétique. En tout cas, il semble questionner cette société qui n’est plus tsariste, ni soviétique, ni communiste, et pourtant, pas tout à fait confortable dans son nouvel univers capitaliste. Les bibliothécaires et les lecteurs seraient-ils des réactionnaires à cette révolution silencieuse que fut le retour de la Russie à l’économie des marchés? Je pense que ca va même beaucoup plus loin que ca. Mais il faudrait le deviner. Car malgré tous les éléments mystérieux qu’il contient, le livre fini à peu près comme il avait commencé, en semant les mystères, sans vraiment révéler leurs secrets. Au début, on ne sait pas si Alexeï fait partie d’une armée révolutionnaire, ou d’une secte ésotérique. À la fin, on ne sait plus s’il est-il prisonnier d‘un groupe de vieilles folles, ou s’il est enfermé dans la chambre d’un hôpital psychiatrique. L’auteur a-t-il vraiment décidé où il veut nous amener? Ou bien il s’est perdu au milieu des nombreuses intrigues dans lesquelles il nous pourtant entrainé, ou alors, il nous abandonne dans son labyrinthe de possibilités. En fait, son livre est aussi hermétique que ceux de Gromov. Et puis, cette violence…

     

    Je pense surtout aux scènes de combats, aux coups durs et sanglants qu’on s’y porte, aux descriptions médico-légales des blessures, à ces petites vieilles qui assassinent à coups de broches à tricoter, ou ces terribles guerriers qui portent des armures des joueurs de hockey, ca frise la bande dessinée. On dirait un interminable spectacle de Polichinelle, ou de vilaines petites marionnettes se donnent des coups sur la tête. L’auteur a sans doute cru que c’était nécessaire. Mais, en fallait-il autant? Deux cent pages en moins, et ca n’aurait rien enlevé à l’histoire. En fait, deux cent pages en plus, mais dans le style de Gogol et Dostoïevski, voilà qui aurait fait une suite intéressante, et peut-être même nécessaire. Je ne pense pas qu’on puisse sérieusement cerner la question, avec un nouvelle qui aurait plus faire tout au plus, une vingtaine de pages…

     

    D’un autre côté, j’ai l’impression que certains éléments importants m’ont échappés. Aussi, j’ai l’intention de le relire. En fait, je l’emporte encore avec moi, sur ces terrasses et ces cafés où les vieux retraités vont perdre leur temps. Et bien sur, pendant ma lecture, je jette parfois un oeil, sur ces petites vi
    eilles qui cachent peut-être une broche à tricoter dans leur sac. J’aime bien la lecture. Mais je ne veux pas me retrouver enfermé dans un bunker.

    1. Yvon Verrier: J’ai aussi vu une société perdue dans cette URSS qui a du mal à se définir et qui cherche quelque chose en quoi croire.  Je sens que je vais certainement le relire aussi, après avoir exploré davantage la littérature russe, notamment Dostoïevski, qui me tente beaucoup.  Me conseillez-vous de lire tout de suite Crime et châtiment ou Humiliés et offensés?  Quant à la fin, j’étais tellement perdue et entrée dans ce monde fou que je n’ai même pas songé à la possibilité de l’asile… il faudrait vraiment que je relise. 

       

      Et bon, si l’humour est présent dans les descriptions de combats, je me serais aussi contentée de beaucoup moins.  À la première bataille de mamies, j’ai carrément pensé être dans un univers parallèle et je me demandais bien ce que je faisais là, en fait!

  19. Les auteurs russes peuvent nous sembler déroutants. Même quand on les traduit en français, ca demeure de la littérature russe, l’expression écrite de plus d’un millier d’années d’histoire et de traditions qui sont différents de l’Europe et de l’Amérique. La langue, l’écriture, l’alphabet cyrillique, pour lequel on ne trouve pas toujours d’équivalent en alphabet romain. Et ces noms, ces expressions, ces jeux de mots. Je ne dis pas qu’il faut absolument lire les auteurs russes dans leur langue originale. Mais il faut en tenir compte, même quand on pense avoir lu une bonne traduction.

     

    Par exemple, dans Pères et enfants, de Gogol, devant l’incapacité de leurs pères, à suivre la nouvelle politique du tsar, les enfants étudient l’anarchisme à l’université. N’est-ce pas ironique? Mais de quoi parle-t-on vraiment? Ana Archia (nouvel ordre) ou An Archia (désordre)? Ce genre de jeux de mots est tout à fait dans l’esprit ironique de plusieurs auteurs russes.

     

    Ainsi, Elizarov nous parle de lecteurs, mais réellement, il nous donne la description des licteurs romains, ces soldats chargés de faire respecter l’ordre. Et quand il parle de ces livres qui cachent un deuxième message, des livres que tous trouvent insignifiants, mais dont la lecture donne du pouvoir à quelques uns, il me semble qu’on peut y voir une allusion à certains livres philosophiques qui promettaient le pouvoir au peuple, mais qui, en réalité, l’ont plutôt accordé aux licteurs de l’empire soviétique.

     

    Enfin, je crois qu’il faut lire Tourgueniev, Gogol, Dostoïevski, et Tolstoï, que j’aime beaucoup, et plusieurs autres auteurs russes, tout autant qu’il nous faut lire les auteurs des autres pays. Et pourtant, je sais bien que c’est impossible. Lao Tseu disait: toute étude est interminable. Et encore, il ne parlait que des auteurs chinois. Quant à Dostoïevski, surtout dans Crime et Châtiment, on y discute d’un problème tout à fait humain, le crime, et d’un syndrome encore mal connu: le remord. Mais ce qui me renverse, c’est le rêve de Raskolnikov, au deuxième chapitre de l’épilogue. Rien que pour ca, ca vaut le détour.

    1. Yvon Verrier: Avec toute traduction, on perd énormément, surtout au plan de la forme mais aussi un peu du contenu. Après plusieurs discussion avec des amis traducteurs, nous en sommes presque tous venus à cette conclusion.  Même la meilleure traduction du monde ne permet pas de transmettre toutes les subtilités, les jeux de mots, les références culturelles que le lecteur ne connaît pas et qui teintent souvent énormément le sens d’une oeuvre.  J’ai lu des échantillons de plusieurs auteurs Russes… et je compte bien continuer!!  Certain certain!!

  20. ERRATA: Pères et enfants est de Tourgueniev. (Oups!)

    1. Yvon Verrier: ;))

  21. Certains de mes professeurs pouvaient lire Hésiode et Homère en grecque. Des amis plus disciplinés que moi lisaient Virgile en latin. D’autres ont lu Dante en italien, Cervantès en catalan, ou Goethe en allemand. Moi j’ai lu quelques livres en anglais, et tout le reste en traductions françaises. Je me sens donc très limité, devant tous ces trésors qui me restent interdits.

    1. Yvon Verrier: Moi aussi, je me sens limitée parfois, surtout par les langues bien différentes du français, je suis certaine que je manque un gros quelque chose.  Je lis autant en français qu’en anglais alors je peux facilement voir la différence entre la VO et la traduction… mais il y a tant d’autres langues!  J’ai déjà lu Harry Potter dans une traduction latine… mais vu que c’est loin d’être une VO, ça ne compte pas!!!  Et bon, c’est légèrement artificiel, disons!

  22. Harry Potter en latin, c’est assez amusant. J’imagine que ca n’est pas de Rowling. Dans Star Trek, on parlait de Shakespeare, en version originale klingon.

     

    Et puis, il y a cette version de la Bible, appelée Septante, pourquoi pas Heptateuque, qui fut traduite en qrecque, par les scribes de Ptolémée, fondateur de la bibliothèque d’Alexandrie, trois cent ans avant que les Chrétiens apparaissent en Judée. Hypatie, la dernière conservatrice de la bibliothèque, fut assassinée en même temps qu’on incendiait la bibliothèque. Et depuis, les guerres que se livrent les lecteurs de l’Heptateuque chrétien, et le barbarisme qu’ils ont mis à soit-disant, récupérer les terres chrétiennes, ca ressemblent beaucoup aux combats des cohortes de lecteurs des livres de Gromov. Je me demande mème si Elizarov n’avait quelques intentions, dans ce sens…

     

    Il y a décidément beaucoup de mystères, dans les livres, et dans les histoires qu’ils conservent.

     

    Et puis, il y a cet autre mystère. À quelques jours de sa sortie en librairies québécoises, on ne parle pas beaucoup du Bibliothécaire. Finalement, je pense que j’ai bien fait de l’acheter en France.

    1. Yvon Verrier: Oui, c’est vrai que ça peut faire penser à certaines croisades.  Les habits médiévaux, l’aspects « se battre à tout prix »… il est possible qu’il y ait des références en ce sens.  Quant à la sortie ici, je n’en ai pas entendu parler non plus.  Ce n’est pas un des auteurs « front page » je crois.  Et c’est un roman qu’il faut mériter, disons!!  Il ne se laisse pas découvrir si facilement!

    • Yvon Verrier sur 25/09/2010 à 01:49

    Puisque les temps sont accomplis, j’ai de nouveau essayé de trouver le livre dans les librairies québécoises. Et puisque j’en avais déjà réservé un exemplaire, chez Renaud Bray, j’ai voulu donner une autre chance au coureur, ou enfin, au marcheur…

    Hélas, on ne sait rien du livre qui devait paraitre à la fin de septembre. Il faut dire que j’avais d’abord cherché Mikhail Elizarov. En fait, il y a bien une page pour Elizarov, mais on l’a rebaptisé Mikhael, sans doute pour éloigner les curieux. Il y a donc une page, avec une photo du livre, et même un prix. Mais il n’y a pas l’habituel petit bouton qui permette de mettre le livre dans le panier. En fait, après vérification auprès du libraire, il n’y a aucun livre en inventaire, ni aucun en commande. On m’a quand même assuré que le livre serait bientôt au Québec, enfin, prochainement, et même très certainement. Mais, parait-il, c’est seulement que les bateaux mettent plus de trois mois à traverser notre mer océane. Sans doute qu’on utilise encore des drakkars. Il était pourtant inutile de fréter un grand navire. Je semble être le seul à avoir réservé un exemplaire du livre. On aurait pu tout simplement me le poster. Heureusement que j’y avais pensé avant.

    Ca donne quand même un aperçu de l’importance de la littérature au Québec. Mais il semble que les licteurs de la cohorte québécoise devront se passer du dernier livre de l’Heptateuque de Gromov.

    1. Yvon Verrier: C’est dommage que les nouveautés sortent non seulement souvent en retard mais aussi parfois pas du tout tant qu’ils ne sont pas un succès en Europe.  On n’a qu’à penser à Sukkwan Island qui était carrément introuvable jusqu’à il y peu et qui est maintenant un peu partout.  Je pense que certaines personnes ne veulent pas prendre de chances… et ne donnent pas la chance aux livres de se trouver un public… dommage…

    • Yvon Verrier sur 26/09/2010 à 06:58

    Tout ce qui touche les arts semble être contrôlé par des gens d’affaires qui n’ont d’autres soucis que le profit immédiat qu’ils peuvent en tirer. Les peintres et les auteurs ont des cotes qui dépendent plus du succès de la mise en marché de leurs oeuvres que de leurs valeurs artistiques. Pour réussir, il faudrait que les artistes se laissent inspirer par le profit, et non par leurs Muses. C‘est bien dommage. Nous pensions nous être débarrassés de la censure vaticane. Nous subissons désormais celle du monde des affaires. Est-ce vraiment différent? En tout cas, il s‘agit d‘affaires, et non plus d’art.

    1. Yvon Verrier: Je trouve ça bien bien dommage aussi… l’art pour lui-même a toujours eu à se battre pour exister et malheureusement, je crois que ce n’est pas fini. 

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