Laure Clouet – Adrienne Choquette

Quand on va faire une promenade des écrivains avec Marie-Eve Sevigny, on ressort toujours avec une liste des oeuvres obligatoires. Et cette année, je n’ai fait qu’une promenade alors j’ai le temps d’être bonne élève.  J’ai donc lu, à sa suggestion, Laure Clouet, oeuvre québécoise datant de 1961. Et comme elle est bonne prof, elle a su bien choisir, et me donner les clés nécessaires pour l’apprécier davantage.  Ne vous méprenez pas, c’est très très accessible sauf qu’une fois replacé dans l’époque, le propos est encore plus révélateur.

 

Ce court roman nous présente donc Laure Clouet, vieille fille héritière d’une riche famille de la Grande Allée. Elle a des sous, du standing mais aussi toute une réputation familiale qui tient maintenant sur ses seules épaules depuis la mort de sa mère qui maintennait la maisonnée dans une époque révolue, sans évolution possible.  Laure a bien des envie de voir le monde autrement, mais les traditions et l’éducation qu’elle a reçue ne rendent pas les choses faciles.  Elle vit donc seule, sans avoir absolument rien changé, jusqu’à ce qu’une lettre d’une jeune nièce vienne bouleverser ses certitudes.

 

On se retrouve ici à l’aube des grands changements des années 60.  L’aristocratie québécoise s’effrite et avec le changement vient le clash des générations. Imaginez, les habitants des quartiers qui se mélangent! Et une nièce qui osent demander de l’héberger, comme ça!  Ça ne se fait pas. Et avec le vieux monde qui se meurt, Laure perd peu à peu ses guides et se sent ballotée par ceux qui la poussent en avant et ceux qui la tirent en arrière. Et c’est ce portrait d’une société en bouleversement, d’une femme prise au milieu de tout ça qui nous est ici offert. Parce que malgré l’âge de la protagoniste, il s’agit ici de prendre ses premières vraies décisions d’adulte et j’ai trouvé ses déchirements passionnants.   De la demande, nous en savons somme toute peu… que va-t-il arriver? Sont-ils bienveillants? Mais qu’importe car il ne s’agit que du déclencheur vers une transformation tout autre.

 

L’écriture est fine et ciselée sans pour autant être alambiquée.  Elle dresse le portrait de Québec (et d’une partie du Québec) avec adresse et se balader dans les endroits où se déroule le roman était ma foi fort agréable.   Une belle découverte pour moi qui ai toujours eu un peu en grippe les classiques québécois!

6 Commentaires

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  1. Qui sait, ce roman pourrait devenir un classique 😉

    1. Qui sait! J’ai pour ma part beaucoup aimé et je pense que c’est très révélateur du Québec de l’époque.

  2. Quand tu nous as mis en garde, je pensais que l’époque serait beaucoup plus vieille que ça! Bon, okay on n’était pas nées, mais tout de même 😉

    1. Pour moi, Classique, c’est avant les années 80! Genre, à ma naissance ou un peu après. Mais celui-ci vaut vraiment le coup.

  3. L’auteure, Adrienne Choquette, comme la plupart des écrivains québécois un peu connus de cette génération, avait un autre emploi à temps plein : rédactrice dans une revue publiée par le ministère de l’Agriculture ou de la Colonisation, bref une fonctionnaire provinciale à l’époque de Duplessis, dans le temps qu’il n’y avait pas de syndicat dans le secteur public, ni beaucoup de femmes dans ce secteur à part des secrétaires. Autrement dit, elle était bien placée pour observer l’évolution de tout un petit monde appelé à changer beaucoup avec la Révolution tranquille. Elle devait travailler à proximité des lieux qu’elle décrit justement (comme l’église Saint-Dominique sur la Grande-Allée, où débute l’histoire), même si elle n’y habitait sans doute pas ; mais il faut tenir compte aussi, par ailleurs, de son amitié avec Gabrielle Roy, qui vivait dans un des vieux immeubles d’appartements bourgeois où loge justement celle des amies de la mère de Laure qui est la plus lucide et essaie de la guider. Je ne peux pas non plus m’empêcher de penser qu’il y ait une allusion au mari de Gabrielle dans ce passage où une autre des amies en question sourit au portrait de son époux défunt, auprès de qui elle passa sa vie « à jouer la comédie du bonheur » (je cite de mémoire). On sent qu’il y a quelque chose de lourd dans cette allusion. Alors que les critiques de l’époque se sont attardés au caractère psychologique et au style pur et classique de l’oeuvre, avec le recul on voit davantage le symbolisme annonciateur, littéralement, de ce qui ne s’est pas présenté aux contemporains sous les traits d’un bouleversement social mais d’une « révolution tranquille »… ; et avec encore plus de recul on s’aperçoit que l’histoire se place tout prosaiquement dans le cadre de la transformation urbaine d’une avenue, la Grande-Allée, qui cesse d’être le vivier de la classe dirigeante à proximité du Parlement et dont les maisons cossues sont divisées en loyers pour des foyers plus modestes ; plus tard elles accueilleront des cabinets de professionnels, et enfin des restaurants et des bars. Laure Clouet se place au moment où s’amorce cette transformation. C’est un miroir à triple reflet.

    1. Très intéressant comme réflexion et façon de voir les choses. C’est vrai que cette remanque de comédie du bonheur pourrait rappeler le mari de Gabrielle Roy, quand on réalise qu’elles étaient proches… merci de m’avoir rappelé cette ancienne lecture, que j’avais beaucoup appréciée pour son regard acéré sur une société en plein bouleversement.

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