La femme qui fuit – Anaïs Barbeau-Lavalette

La femme qui fuitcoup-de-coeur2Il y a des moments où on est remplie de certitudes.  Puis arrive un roman.  Ce roman-là.  Qui remet tout en question.  Qui nous force à nous parler à voix haute toute seule dans notre salon.   Et qui fait réfléchir au sens du mot « ensemble », aux différentes manières de fuir, de poursuivre.  Pour moi, la lecture de « La femme qui fuit », ce fut quelque chose.  J’en ressors avec un désir de liberté, un désir de vivre encore plus intense.  Mais un désir des autres aussi.

 

Je ne saurais expliquer tout ce qui m’a touchée das ce roman.  La douleur de Mousse, son manque profond, insatiable, qui m’a rappelé les paroles d’une amie que je n’avais jamais tout à fait comprises.  Le besoin de comprendre, de savoir, de la narratrice, qui n’a pas connu sa grand-mère mais de qui elle a senti l’ombre planer sur sa mère et, par conséquent, sur elle.  La désillusion et le vide de Suzanne, la femme qui fuit, qui tombe, tombe, après avoir vécu trop intensément, après y avoir cru, à cette bulle fiévreuse des années 40 qui lui avait laissé entrevoir que c’était ça, le moment.  Le seul qui compte.   Mais j’ai aussi été secouée par le sort des femmes, le sort des canadiens français à l’époque où l’église avait carrément la main dans nos culottes (et nos porte-monnaie).  J’ai vibré avec le groupe des Automatistes à la signature du refus global, à ce refus de se laisser mourir paraphé par Borduas, Marcel Barbeau, Jean-Paul Riopelle, Muriel Guilbault, Marcelle Ferron et tous les autres.  Et ensuite, l’après.  Et la perte graduelle des illusions, avec en prime le rejet et la pauvreté.

 

Pour moi en tant que québécoise, cette période, ces risques pris, c’est mythique.  L’auteur réussit à rendre tous ces personnages plus grands que nature réels et très humains aussi.  Pleins de passions mais aussi  de failles et d’échecs.   Du coup, la revivre avec Suzanne Meloche, artiste elle-aussi mais moins connue, ça a été me plonger dans cette exaltation pleine d’espoir, de vie de bohême.   Et ça a aussi été ressentir pleinement la chute.

 

Bien entendu, l’auteur a inventé sa grand-mère à partir de l’histoire et des faits qui lui étaient connus.   On est souvent à cheval entre fiction et réalité mais même si cette mère fuyante, égocentrique, blessée nous fait parfois mal tant elle se coupe de tout, tant elle fait du mal, l’exercice demeure respectueux et nous offre des pistes de « pourquoi ».   N’empêche que j’ai eu versé des larmes pour ces enfants abandonnés, trop petits pour comprendre, blessés à jamais.  Je m’imagine parfaitement cette envie, ce besoin de s’approprier une partie de son histoire familiale pour peut-être, un jour, faire la paix.

 

Un roman à l’écriture maîtrisée, aux chapitres courts, dans lequel on plonge comme en apnée… et qui m’a fait passer par toutes les émotions possibles.  À lire.  Pour de vrai.

14 Commentaires

Passer au formulaire de commentaire

  1. Ton enthousiasme fait bien plaisir à lire. Mais il me semble qu’il me manquerait beaucoup d’éléments pour lire ce roman. Je ne sais pas ce qu’est le refus global, ni le groupe des Automatistes… le contexte est-il explicité ?

    1. Pour moi, je trouve que c’est explicité. J’avais quand même étudié le Refus global au Cégep en philo de l’art (traumatisme intense que ce fut… premier cours de philo, j’avais 15 ans, avec une gang d’artistes… je détonnais clairement!). Pour nous, ça a été une période assez folle. Sérieusement, je serais curieuse de savoir ce que tu en penserais… On y trouve une partie du texte du refus global et on les rencontre, ces fameux automatistes. Bon, pour vous, peut-être que ça n’aurait pas le même goût pour vous!

  2. Un roman qui suscite autant d ‘émotions, c’est assez rare pour être noté.

    1. En effet, il faut. Il m’a chamboulée.

  3. Je ne peux plus passer à côté, c’en est trop ! Au secours, petit Papa Noël, donne-moi du temps pour lire. Merci. Amen, je serai sage, promis.

    1. Très bonne idée pour le Père Noël. Ce roman, c’est quelque chose.

  4. Je ne connais pas bien le contexte non plus, c’est un mouvement artistique ?

    1. Oui, un mouvement artistique.
      https://fr.wikipedia.org/wiki/Automatistes
      Ca peut fort t’intéresser, je pense!

  5. Je ne peux pas faire autrement, je dois le noter aussi. L’époque m’intrigue, je n’y connais pas grand chose.

    1. Je pense que ça risque de te plaire. Du moins, j’espère!

  6. Quel bel enthousiasme, Karine ! Il est dans ma PAL. J’attends le bon moment pour m’y plonger, mais ça semble être un incontournable !

    1. J’ai été virée à l’envers, carrément!

  7. Bonjour Karine,
    Très très grand coup de cœur pour moi aussi, autant au niveau de l’écriture que de l’histoire de cette femme fascinante.
    (J’ai su que nous avions une amie en commun, enfin la sœur d’une amie, Isabelle Tremblay! Je l’ai connu via Liette et Dominique toutes trois en anesthésie. Quand elles ont des voyages à l’étranger pour le travail elles m’invitent et je les suis! :D)
    Berlin entre autre etc…
    Il y a longtemps que je voulais passer ici, je le fais aujourd’hui. Bises et bonne journée à toi Karine

    1. Quelle histoire, n’est-ce pas! J’ai adoré le thème, la narration, l’histoire… et quelle finale! Et merci pour ton commentaire, ça fait plaisir

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.