Jour 76 – Topkapi et Aux revoirs

Dernière vraie journée à Istanbul. Je suis de bien meilleure humeur qu’hier soir et cette journée a été sublime. Rien de moins. Nous sommes partis à pieds de bon matin pour aller visiter le palais de Topkapi, résidence du sultan dès la conquête de Constantinople.  Les deux premières choses qu’il a fait faire ont été de transformer Ste-Sophie en mosquée… et de se faire construire de palais grandiose, destiné au départ à gouverner le pays. Le palais d’habitation était situé dans les environs du grand bazar et la famille du sultan n’a habité Topkapi que du 16e au 19e siècle, moment où ils ont déménagé dans le palais sur les rives du Bosphore. Le palais a aussi été une école, où les jeunes de bonne famille apprenaient à gouverner. En 1924, il a été transformé en usine par Ataturk.

Il y avait trois portes et trois cours pour entrer au palais.  La première porte était grande et tout le monde pouvait y entrer, même à cheval. Elle menait dans de magnifiques jardins, que nous aurions besoin de plusieurs heures pour visiter au complet.  La 2e porte était réservée aux proches du sultan et date de la fin du 15e. L’intérieur est toutefois plus rococo, du 17e. Mentionnons que bizarrement, le rococo turc passe beaucoup mieux à mes yeux que le rococo français. On dirait que ça fitte mieux dans le décor! La troisième porte était réservée à la famille du Sultan.

Dans la première cour, une énorme cuisine, qui pouvait faire la nourriture pour plus de 10 000 personnes.  Chaque section était séparée et avait son propre chef, qui dépendant lui-même d’un chef principal, qui s’occupait des achats et des commandes. Le palais avait même ses propres champs pour cultiver.  Il y avait aussi l’église Ste-Irène et l’endroit où était frappé la monnaie. L’endroit le plus important était le Divan (qui a donné le mot divan en français), où se prenaient les décisions du sultanat et où siégeaient le grand vizir et ses vizirs. Au départ le sultan y participait aussi mais on raconte que ça stressait horriblement certains vizirs. Du coup, il pouvait écouter, mais caché. Du coup, personne ne savait quand il était là. Quand une décision était prise, elle était amenée au sultan, qui approuvait et faisait diffuser. Il y avait aussi le Kadi (orthographe aléatoire), le juge suprême, qui avait un grand pouvoir et même prendre la décision de démettre le sultan s’il ne pouvait pas bien gouverner.  C’est même arrivé. Trois fois.

Ce lieu a été le théâtre de multiples intrigues, autant politiques que dans le harem. Au départ, le titre de sultan revenait au plus vieux de la famille mais par la suite, pendant une époque, la transmission s’est faite de père en fils et le sultan décidait lequel de ses fils était le plus apte à gouverner. Il faut dire qu’ils étaient envoyés dans des villes de l’empire pour faire leur apprentissage et qu’on faisait des rapports. Inutile de préciser que ça compliquait les choses.  Mahmet 2 avait ordonné que les frères du sultan soient tués pour éviter les problèmes (on a les solutions qu’on peut n’est-ce pas). Toutefois, il était interdit de faire couler le sang. Du coup, on les étranglait avec des fils de soie (ça m’a rappelé le récit du Persan dans le fantôme de l’opéra, avec son fameux lasso. Oui, je sais, on a aussi les références qu’on peut!) Soliman le magnifique a même tué ses fils et son meilleur, sous l’influence de sa femme qui voulait que le plus jeune soit sur le trône, car il était d’accord avec tout ce que sa mère décidait.  Si la reine mère a toujours un grand pouvoir, la femme de Soliman le magnifique, c’était quelque chose. Née esclave, elle est devenue l’épouse du sultan alors qu’avant, les sultans ne se mariaient pas. Imaginez! Elle l’appelait même pas son prénom!  Sacrilège! Avant, ils ne se mariaient qu’avec Allah car ils étaient aussi calife.

Le harem était aussi un endroit plein d’intrigues. Il pouvait contenir de 300 à 400 femmes, qui y entraient parfois dès l’enfance pour y être éduquées à bien se comporter en société.  Ce n’est jamais le sultan qui choisissait avec quelle femme il allait passer la nuit. Souvent c’était sa mère, ou alors les opposants à sa mère, qui devaient faire ça en douce car c’est des appartements de celle-ci qu’on accédait à ceux du Sultan.  Certaines femmes n’étaient jamais appelées et pouvait alors se marier. D’autres devenaient favorites et avaient davantage de privilèges, dont une chambre privée.  La première favorite à avoir un garçon était, vous le devinez bien, très importante.  Notre guide nous dit qu’un sultan a eu plus de 100 enfants!

À l’entrée du harem, les appartements des eunuques noirs, castrés vers 7-8-9 ans. Plus vieux, soit ils mouraient… soit ça repoussait! Le chef des eunuques avait un grand pouvoir car il était la ligne directe avec la reine mère. Ils servaient de gardes aux femmes du harem.  À l’entrée, c’est tout de suite magnifique.  On est subjugués par les murs tapissés de faïences bleues et blanches, parfois aussi représentant des motifs. Par exemple, dans la mosquée des eunuques, on voit le Mont Arafat et la mosquée de Medine. Puis, une pièce avec trois portes. L’une menant au harem,  l’autre vers la chambre de la reine-mère et finalement le couloir de l’or. Saviez-vous que les écritures en arabe sont soit des vers du Coran, soit des règlements. On reconnaît ceux-ci au sceau qui est la plupart du temps au-dessus.

À l’entrée du harem, l’endroit où elles mangeaient (elles ne cuisinaient pas, les repas leur étaient apportés, sans que personne ne se croise jamais). Dans le corridor, les escaliers vers les chambres des concubines, qui dormaient 4-6 par chambre, alors que les favorites avaient droit à leur chambre privée.

Puis, on entre dans le hammam… c’est facile d’imaginer les femmes s’y lavant et y recevant des massages. C’est très beau et très particulier comme endroit.  Les hammams m’ont d’ailleurs tous fascinée dans le palais. Je suis ravie d’y aller plus tard.

Puis, les appartements de la reine-mère.  Sa majestueuse salle d’attente et sa chambre en haut. Toutes les pièces importantes avaient des lavabos pour la fraîcheur certes… mais surtout pour ne pas que les gens entendent ce qui s’y disait. Astucieux, dans un endroit plus ou moins bien isolé.

Les appartements du sultan sont majestueux, hauts de plafond, et très ornés. Dans sa chambre, deux lits à rideaux et non, l’un n’est pas pour les préliminaires! C’était plutôt pour sa protection car il dormait toujours seul et si un intrus arrivait, il n’était jamais certain de quel lit était utilisé.  Une boule au plafond contrôlait les secousses sismiques.

La cour des favorites est juste sublime, avec une vue sur la ville (qui devait être la campagne à ce moment) et de magnifiques bâtiments couverts de faïences, donc la salle des princes. Je ne suis pas capable de m’empêcher de les regarder. Au soleil, ça donne un effet incroyable, que je ne suis pas capable de reproduire en photo. Mes photos du palais sont d’ailleurs assez décevantes, en fait.

Puis, nous visitons la bibliothèque, la salle d’audience, ainsi que la salle des reliques, où nous pouvons voir le de St-Jean, le bâton de Moïse, le sabre du prophète et autres joyeusetés.  Au moins, en pays musulman, on ne voit pas de morceau de la Ste-Croix, qui devait bien mesurer plusieurs kilomètres, à voir le nombre de morceaux restants! Le jardin qui est derrière est aussi fabuleux.  On aurait pu y passer des heures. Vraiment j’ai aimé l’endroit.

Avec Mme M-C, on visite la galerie des sultans pour tenter d’élire Mr. Sultan 2019. On est assez d’accord pour choisir celui qui a régné au début du 16e et donc j’ai oublié le nom. On trouve qu’il a un petit « grrrr » dans le regard qui nous plait bien davantage que les débuts de moustaches ou autres looks moins virils à nos yeux d’occidentales. On a un bon fou rire, en tout cas! J’ai aussi très bien choisi ma robe pour la journée car je fitte avec les faïences, c’est fou. Sur la photo d’une participante, on a du mal à me distinguer du mur!

Autre anecdote, c’est drôle d’entendre les gens, parfois. Deux dames très bien mises bavardaient en espagnol et attendaient – comme tout le monde – de prendre une photo. J’étais juste devant et soudain, j’entends – en espagnol – un truc qui voulait dire « Bon, si la grosse vache en bleu veut bien se pousser, on va pouvoir prendre la photo ». La grosse vache stupide en bleu, c’était moi, hein! Et je me suis fait un plaisir de sortir mon meilleur espagnol (ce qui est très, très relatif, comme vous pouvez vous l’imaginer), pour leur répondre que « la stupida vaca  le dice que espere, como todo el mundo ».  Je ne veux même pas savoir combien de fautes de grammaire j’ai faites, mais voir leur face valait l’effort. Leurs yeux sont devenus grands comme des soucoupes… et elles ont décampé à la troisième vitesse!

Dernière visite des énormes cuisines, maintenant transformées en musée de faïences chinoises (surtout) et étrangères, et c’est déjà la fin. Nous nous dirigeons vers le resto au son de notre cri de rassemblement, soit la sonnerie du téléphone de Kadir, notre guide, que nous sifflotons tous en chœur. Je pense que je vais la mettre comme sonnerie de réveille-matin pour me souvenir du voyage!

Le resto du midi est génial. Le meilleur à date. Tout est délicieux et le poulet, avec un mélange d’abricots et d’épinards, est un pur délice.  La moitié du groupe essaie d’extorquer la recette au chef! En plus, il y a une boutique de vêtements juste en face, et j’ai le temps de m’acheter deux paires de pantalons entre le plat principal et le dessert.  Je regrette même de ne pas en avoir pris un de plus, d’un autre modèle.  Va falloir que je magasine ça à Paris.. et que je paie le triple du prix, mais bon. Ça va être pratique en Egypte (ouais, je me cherche des raisons pour dépenser, j’avoue, j’avoue)! Il ne me manque que les chemises à manches mi-longues et je vais être parée.

Pour l’après-midi libre, nous avons choisi d’aller à Taksim et comme nous sommes plusieurs, Kadir et Sabrina nous accompagnent. J’ai adoré marcher à cet endroit, où il y a certes des touristes mais aussi beaucoup de Turcs. C’est très animé, les bâtiments de la rue Istiklal – que nous descendons jusqu’à la tour de Galata – sont souvent très beaux et il y a un monde, un monde!  Les petites rues transversales sont super mignonnes et je voudrais toutes les photographier. Il y a des spectacles de rue, des grandes marques mais aussi des petites boutiques, surtout en bas de la rue. Nous allons juste un petit peu vite à mon goût, j’aurais aimé magasiner un petit peu plus. Je suis en manque de magasinage!

La place Taksim a été le lieu de plusieurs manifestations il y a quelques années, où plusieurs personnes s’opposaient au gouvernement. C’est parti à cause d’arbres que la population ne voulait pas faire couper car le gouvernement voulait faire construire un grand centre commercial. Les arbres y sont toujours… et un taaaaaaas de camions de police aussi! Un centre culturer a été démoli, soit disant pour en construire un nouveau mais Kadir nous dit qu’on attend encore. Et une nouvelle mosquée est encore en construction. L’hôtel tout près, de même qu’une mosquée en bord de mer sont assez mal vues car elles ont protégé et hébergé des manifestants et des étudiants à l’époque. C’est en plein à ce moment que mes parents sont allés en Turquie et leur guide leur en avait beaucoup, beaucoup parlé. Je vais devoir m’informer auprès d’elle pour mieux comprendre.

Puis, ensuite, THE expérience… le hammam. On a finalement pu y aller, après moultes tergiversations. On est parties de Taksim à 6 pour s’y rendre, dans un quartier un peu plus populaire, où on vend beaucoup de chaussures! Mme S nous rejoint à l’arrivée et, un peu plus tard, Mme J (qui s’est finalement décidée) et Mme M.C. On arrive là, on nous donne une petite serviette pour se couvrir, et comme on ne sait pas trop quoi faire, et on nous dirige vers le sauna, très chaud… assez chaud pour que nous laissions rapidement tomber la serviette, au grand dam de jeunes filles qui tentaient de se cacher le plus possible! Nous, après deux minutes, on est over à l’aise et je me sens comme dans le harem vu un peu plus tôt. En sortant, nous nous installons sur la pierre plate surélevée (j’ai l’impression d’être sur un poêle à raclette) et nous attendons pour nos massages.  C’est rassurant et très zen de voir toutes ces femmes, avec leurs corps de femmes, tous différents et tous beaux, sans complexe et sans pudeur. Vraiment, une expérience à vivre.  Et là, le fun commence.

Les dames ne comprennent pas vraiment l’anglais et ne savent que quelques mots. Du coup, elles nous dirigent… à coups de tapes sur les fesses. La première à avoir reçu ce traitement, c’est Sabrina, du coup, on a éclaté de rire toutes de concert… pour y avoir droit tout de suite après!  On se fait brosser au gant de crin (avec vigueur), partout partout, avant de faire une pause douche et piscine. Toujours à poils. Puis, massage au miel, pas trop fort, contrairement à ce qu’on m’avait dit. Ensuite, savonnage… et là, c’est la joke. Ils nous savonnent partout, en accrochant tout! J’ai vu une dame soulever un sein pour pouvoir laver dessous! Et là, on a du savon dans les yeux. La première fois, je réussis tant bien que mal à les rouvrir… pour m’ouvrir les yeux à un pouce de la paire de seins de la dame qui s’occupait de moi.  Et un pouce, je suis généreuse! Et quand ils nous lavent les cuisses, ils attrapent tout, tout, tout! Ça surprend un peu. La deuxième fois que j’indique que je ne vois rien, je reçois un sceau d’eau sur la tête! Laissez-moi vous dire que ça surprend aussi! Et à la fin, on me dirige vers la douche, avec un look de somnambule nudiste!

C’est tellement relaxant et tellement agréable de vivre ça comme ça, en groupe. Après, on rentre tout doucement et je retourne au petit bazar et à quelques boutiques où j’avais repéré des demandes spéciales. Quelques achats plus tard, je m’installe sur une terrasse pour boire un verre avec Mme S et regarder les gens passer, l’un de mes grands plaisirs.  C’est comme si je voulais absorber Istanbul.

Le souper d’au revoir était sur le toit d’un très bel hôtel, où on avait une vue imprenable sur la ville, mais surtout sur Ste-Sophie et la mosquée bleue, au soleil couchant. Il est très difficile de décrire la sensation de cette dernière soirée, avec ses photos mentales, ses fous rires et ses promesses de « on va se revoir ». Une soirée au hammam qui va s’ouvrir à Montréal est même prévue… ça risque d’être assez drôle!

Quelle belle façon de dire au revoir au pays!

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